Cet
article a été partiellement publié dans la revue
"FAERIES" n°1 (printemps 2000) aux éditions Nestiveqnen
les notes sont en cours, elles
seront disponibles dans les semaines à venir
(un essai sur la géographie dans l'oeuvre de
J.R.R. Tolkien)
merci à Guibod, Didier Willis,
Gilles Chagnon et à la liste Eb-Tolkien pour leurs conseils
"Ceux des Ainur qui le voulurent se
levèrent et entrèrent dans le Monde au commencement des temps, et ce
fut leur tâche que de l'achever et leur travail que d'accomplir la
vision qu'ils avaient entrevue. Ils oeuvrèrent longtemps dans les
espaces d'Ea, qui sont plus vastes que ne peuvent le concevoir les Elfes
ou les Humains, jusqu'à ce qu'au moment assigné fût créé Arda, le
Royaume de la terre. Puis ils prirent la vêture de ce monde et y
descendirent et depuis lors y demeurent. " (Le
Silmarillon, "Valanquenta", p16)

PLAN:
I-
repères geographiques (Arda-Aman-la Terre du
Milieu)
II-
les mondes perdus de tolkien: des terres imaginaires nees d'une
angleterre archaique (l'Angleterre
et la Scandinavie- l'Europe
et l'Afrique du nord-ce
qu'en dit Tolkien)
III- les 3 visions du mythe du monde perdu chez
Tolkien (Tol Eressea - Valinor
- Nùmenor)

-I-
REPERES GEOGRAPHIQUES
a- Arda:

"Ea !"("Que cela soit")
murmura Illuvatar lors de la conception du monde. C' est l'univers
matériel, le monde, le socle géographique de l'univers de Tolkien.
Arda, ou "La Terre", est la terre originelle, conçue et
désignée par Illuvatar pour être la demeure de ses Enfants. Elle fut
façonnée symétrique et tempérée, une sorte de paradis originel
comme l'imagine la Chrétienté, mais la malice de Melkor et la guerre
qui opposa ce dernier aux Valar nuancèrent sérieusement cet aspect
premier: A l'origine, comme on peut le voir sur la carte 1, Arda était
plate et ronde, encerclée par Ekkaïa, la "mer extérieure"
à son tour ceinte par les Murs de la Nuit. Il y avait deux continents,
immenses: Aman, et la Terre du Milieu, séparés par Belegaër, "La
Grande Mer" (ou encore "La Mer de l'Ouest", "La
Grande Eau"). Sous Arda se trouvait (ou se trouverait ?) un rocher
monumental, percé de grottes, dont on ne sait pas s'il reposait
lui-même sur quelque chose. Ce sont les Abysses. Surplombant le tout,
le "Voile d'Arda": l'atmosphère. Au-delà encore, Ilmèn, une
région (définie comme telle) se trouvant au-dessus des airs, la
résidence des étoiles.
Taniquetil était la plus haute montagne
d'Arda, au sommet de laquelle habitaient les Illmarin, Manw' et Varda.
On l'appelle aussi "La Montagne Blanche" ou "La Montagne
Bénie".
Lors du Changement du Monde, occasionné par la
guerre évoquée ci-dessus, Illuvatar arracha littéralement Aman
d'Arda, et fit de cette dernière le monde sphérique sur lequel nous
habitons. Les légendes disent qu'elle retrouvera sa forme première (et
donc son essence originelle) à la Fin des Temps.
La Grande Mer de l'Ouest, le Belegaër,
séparait donc Aman de la Terre du Milieu. Elle s'étendait depuis
Helcarax', au Nord, jusqu'au Sud le plus extrême d'Arda, qui n'est
répertorié sur aucune carte. Les principales îles de Belegaër
étaient Balar, Nùmenor, les îles Enchantées, et Tol Eressea.
b- Nùmenor :

"l'Occidentale" (son nom entier en
langue elfique quenya est "Némenor'") était une grande île
qui avait été conçue par les Valar pour que les Edain s'y installent
à la fin du Premier Age. Ses habitants, les Nùmenoréens, étaient
humains, et portaient aussi le nom de Dunedains. Lorsque ces derniers
tentèrent d'investir de force Valinor et Eressea (terres elfiques), une
guerre terrible s'engagea qui s'acheva par la destruction totale de
Nùmenor, et la séparation d'Aman et de Tol Eressea du monde matériel.
Nùmenor tient donc une place bien particulière dans cet essai sur les
Mondes Perdus, et il en sera largement question par la suite. On lui
connaît de nombreux noms, dont : Anadén', Andor, Elenna, ou le Pays de
l'Etoile. Après sa submersion, on la retrouve sous les noms d'Akallabêth,
Atalante ou Mar-nu-Falmar.
c- Aman:
Le vaste continent occidental qui s'étendait
entre la mer Belegaër et la mer Ekkaia lorsqu'il appartenait encore à
Arda et au monde matériel n'est connu que par les légendes, et comme
l'île d'Avalon, sa réalité et sa géographie sont incertaines.
L'île, immense, était découpée par une colossale chaîne montagneuse
en forme de croissant, les Pelori, partant de l'Est depuis Ekkaia pour
former la frontière du royaume de Valinor au Nord, à l'Est et au sud.
Une seule brèche existait dans cette barrière monumentale: le grand
ravin Calacirya, "la fissure de lumière", ainsi appelée car
la lumière des Deux Arbres sacrés de Valinor pouvait y passer pour
aller illuminer Eldamar. Après l'empoisonnement des Arbres, les Valar
fortifièrent la passe et la rendirent infranchissable. Tirion, la
principale cité d'Eldamar, se trouvait dans la région de Calacirya sur
la colline de Tùna. Tirion avait des murs d'une blancheur éclatante,
et des escaliers de cristal. Sa plus haute tour, Mindon Elaliéva, se
trouvait au pied de l'Arbre Blanc des Eldar, Galathilion, identique à
l'un des deux arbres de Valinor, Telperion le Blanc, mais ne produisant
aucune lumière.
Valinor, le pays des Elfes Valar qui porte
aussi le nom de Çla Plaine Fortifiée", se situait au-delà des
montagnes Pelori, au centre d'Aman, légèrement à l'ouest. Eldamar
commençait à l'ouest de la grande courbe formée par les Pelori près
du ravin Calacirya, alors qu'au Nord s'étendait le Désert d'Araman, et
au sud le Désert d'Avathar. Aman, comme Tol Eressea, fut arrachée
d'Arda lorsque celle-ci devint ronde après la destruction de Nùmenor .
d- La
Terre du Milieu:

Ce sont les "Grandes Terres "
qui se trouvent à l'Est de la Grande Mer (Belegaër), après qu'Illuvatar
ait déraciné Aman et Tol Eressea d'Arda après avoir fait une sphère
de celle-ci. Cette appellation a cours jusqu'aux années 1930 dans les
manuscrits de Tolkien, puisque jusqu'à cette date le terme de
"Terre du Milieu" n'est jamais utilisé par l'auteur.
"Les grandes Terres" sont couramment employées dans
" Les Contes Perdus ", mais il faut signaler qu'il
s'agit de la correction de "Terres Extérieures" employé
jusque là dans ses carnets. Ce continent est géographiquement le sol
où se déroulent la plupart des événements relatés par Tolkien. Pour
résumer, on dira que du point de vue des personnages du Seigneur des
Anneaux, la Terre du Milieu est la terre historique et celle, bien
réelle, sur laquelle ils vivent; et les autres terres évoquées,
celles des légendes et des mythes par laquelle ils connaissent (ou
imaginent) leur histoire.

On ne peut évoquer tous les lieux dont il est
question dans l'oeuvre de Tolkien, se rapportant à la Terre du Milieu.
Il existe des Atlas complets traitant du sujet (voir bibliographie), et
la seule lecture de la trilogie du Seigneur des Anneaux suffit pour se
rendre compte de l'immense travail créatif effectué par Tolkien.
Cependant, il faut préciser qu'on ne connaît dans le détail (mais
parfaitement) que le Nord-Ouest du continent, partie dans laquelle se
déroule l'essentiel du (des) récit(s) (voir carte 3).
En voici quelques éléments...
Le Beleriand, aussi connu comme "Le
Pays de Balar" ou "pays des Elfes", se composait à
l'origine des territoires situés autour de l'embouchure du fleuve
Sirion, face à l'île Balar. Par la suite, le Royaume de Beleriand
s'étendit à toutes les terres partant des anciennes côtes du
Nord-Ouest de la Terre du Milieu jusqu'à l'estuaire du fleuve Drengist,
ainsi qu'à tout l'arrière-pays du Sud d'Hithlum, et à l'Est,
jusqu'aux Montagnes Bleues. A l'origine, Beleriand était le pays des
Elfes Sindar de Doriath, et des Falas, plus tard rejoints par les
Laiquendi de Beleriand, les Noldor de Nargothrond, Himlad, les Beleriand
de l'Est et les Edain. Peu à peu, le Beleriand fut envahi par les
troupes de Morgoth, détruit lors de la Grande Bataille, à la fin du
Premier Age, et englouti par la mer. Seul Ossirand (Lindon)
survécut.

Dor Daedeloth, au Nord, était le
territoire de Morgoth: "le Pays de l'Ombre et de l'Horreur".
Au Nord-Est il y aurait une mer intérieure, Helcar,
à l'emplacement où se serait trouvé autrefois la montagne portant la
lampe d'Illuin. Le lac de Cuivénen est décrit comme étant une baie de
cette mer, ce qui est assez étrange...
Cuivénen, ou "l'Eau de l'Eveil",
était un lac de la Terre du Milieu dont la légende racontait que
c'était là qu'étaient nés les premiers Elfes, découverts par Orom'.
En tout cas, c'est de Cuivénen que partit la Grande Marche vers l'Ouest
des Eldar (jusqu'à Tol Eressea qui fut alors arrachée à Arda et
conduite hors du monde matériel: la Baie d'Eldamar serait l'emplacement
originel de la terre d'Eressea, quand elle n'était pas encore une
île.).
Eriador était un pays situé entre les
Montagnes de l'Ombre et les Montagnes Bleues, au Nord. C'est là que se
trouvait le pays des Hobbit, la Comté, mais aussi le Royaume d'Arnor.
Au nord d'Eriador, il n'y avait qu'un vaste désert. C'est la limite
septentrionale de la carte de la Terre du Milieu dont nous disposons
grâce aux indications laissées par Tolkien. Au sud des Montagnes
Bleues, brisées par le Golfe de la Lune (estuaire du fleuve Lune (Lhùn)),
se trouvent les Havres Gris, à l'ouest desquels vivait
paisiblement la Comté des Hobbit. Dans le nord d'Eriador
subsiste une terre qui fut jadis un royaume à part entière, Arnor. A
l'ouest de celui-ci, presque aux pieds des Monts Brumeux.
Plus au sud, toujours à l'ouest des Monts
Brumeux, vivaient les Noldor, dans leur royaume Eregion, "le
Pays du Houx". C'est là que furent forgés les Anneaux des Elfes,
et c'est là que se trouvait la Mine de la Moria dans l'un des
royaumes : Khazad-Dum, les grandes cavernes des Nains de la race
de Durin dans les Montagnes de l'Ombre.
Rivendell, "la Profonde vallée
dans la Faille", aussi appelée Imladris, était la demeure d'Elrond.
Elle se trouvait près des Monts Brumeux.
A la même latitude qu'Eregion, mais de l'autre
côté des Monts se trouvait la Lorién. Ce pays, terre des
Elfes, était gouverné par Celeborn et Galadriel, qui lui avaient
donné ce nom en souvenir de la Lorién de Valinor (c'était le nom des
jardins et de la demeure du Valar Irmo, maître des visions et des
rêves qui s'appelait lui-même Lorién.). Son autre nom est Lothlorien
(l'utilisation du préfixe loth- (fleur en sindarin, langue des Elfes
sindar) rappelant aussi les jardins perdus de Valinor).
Au Sud se trouvait Gondor, "le Pays
de Pierre". C'était un royaume nùmenoréen qui avait été fondé
par Isildur (ancêtre d'Aragorn) et Anàrion. La principale cité de
Gondor était Minas Tirith. Au nord il y avait Rohan, le
"Pays des Chevaux", une grande plaine herbeuse autrefois
appelée Calnardhon. Gondor s'ouvrait sur la mer Belegaër par la Baie
de Belfalas (aussi dite "de Bel"), qu'il partageait avec la
terre d'Humbar.
A l'est des montagnes qui constituent les
frontières orientales de Gondor commençaient les terres du mal: Mordor,
le Royaume de Sauron, communément appelé "le Pays Noir", ou
"le Pays de l'Ombre". Ephel Duath, "le Rempart
d'Ombre", était la chaîne montagneuse qui séparait Gondor de
Mordor. Au sud de la forêt de Mirkwood (au 3è Age) se trouvait Dol
Guldur, "le Mont du Sorcier", forteresse du Nécromancien
Sauron.
A l'Est de la Terre du Milieu s'étendait Hildorien,
le pays qui avait vu naître les Premiers Hommes ("les nouveaux
venus", "les Hildor").
Il y a (littérairement) une importante
expansion géographique au cours des récit morcellés qui constituent
les Contes Perdus (1916-1917) avant le Silmarillon (1937), allant
s'élargissant depuis le centre pour repousser Beleriand vers (puis
dans) l'Ouest, jusqu'à la submersion de Beleriand à la fin des Jours
Anciens. Entre les deux recueils, de nombreuses années se sont
écoulées, et les indications, tant géographiques qu'historiques
fournies par l'auteur (ces textes semblent devoir constituer une sorte
d'Histoire des terres du Milieu, assez proche du Livre Rouge écrit par
Bilbo le Hobbit et signalé à plusieurs reprises dans le Seigneur des
Anneaux).
Quoi qu'il en soit, tout est mouvant dans les
relations de ces jours si anciens, de ces mondes perdus, disparus,
oubliés. Plus qu'aucun autre, ils se veulent perdus, du moins pour nous
autres, Humains.
-II- LES MONDES PERDUS DE TOLKIEN: DES
TERRES IMAGINAIRES NEES D'UNE ANGLETERRE "SCANDINAVE"
ARCHAIQUE ?
Je vais aborder ici un aspect un peu
hasardeux de la géographie de Tolkien. Consciente de la difficulté de
la chose, je sais que beaucoup d'amateurs de JRRT sont sceptiques sur la
théorie qui suit, mais on ne peut s'intéresser à la question des
Mondes Perdus sans éveiller ce type de réaction, et je prends
délibérément le parti d'affronter les remarques éventuelles de ceux
qui oublieront que les Terres du Milieu sont imaginaires, donc
imaginées, et de surcroît par un spécialiste des folklores
anglo-saxons, scandinaves et autres. Il va de soi que lorsque je dirai
"telle terre a pour origine telle autre", ou bien "Arda
est une Angleterre archaïque", cela signifiera, pour les
rationalistes égarés dans nos Mondes Perdus: "dans l'inspiration,
dans l'idée initiale de l'auteur".
Cela étant dit, allons y.
a- Avec le
Livre des Contes Perdus: l'Angleterre:
Les récits de Tolkien se situent presque
toujours dans le Nord-Ouest de la Terre du Milieu, ce qui rend aisé un
rapprochement géographique entre le Bélériand archaïque et
l'Angleterre. C'est plus que tentant, comme je vais essayer de le
démontrer plus loin, mais ça ne l'est véritablement que pour les
écrits les plus anciens de Tolkien, ceux des années 1915-1920,
principalement réunis dans "Le Livre des Contes
Perdus ". Par la suite, dans le Silmarillon (années 1940), la
plupart des références ont disparu, et le monde élaboré durant toute
une vie a pris son envol, et son existence "séparée". En
d'autres termes, le Beleriand ne peut être vu comme une Angleterre
parallèle que dans le cadre très restreint des "Book of Lost
Tales " originels.
"J'étais depuis longtemps chagriné
par la pauvreté de mon propre pays bien-aimé: il ne possédait pas
d'histoires propres (liées à sa propre langue et à son propre sol),
pas de la qualité que je recherchais, et trouvais (comme ingrédient),
dans les légendes d'autres pays. Il y en avait de grecques, et de
celtes, et de romanes, d'allemandes, scandinaves et finlandaises (qui me
touchèrent grandement); mais rien d'anglais, hormis des choses d'une
qualité appauvrie de "légendes romancées" populaires"
Le marin Eriol, dans les Contes Perdus,
parvient sur l'île elfique Tol Eressea au terme d'un long voyage vers
l'Ouest, où lui sont racontées les légendes et les histoires d'Elfinesse,
qu'il rapportera ensuite chez les hommes. Il semble que ce personnage
ait un rôle plus important qu'il n'y paraît: dans l'un des
innombrables carnets de Tolkien, intitulé " Histoire de la
Vie d'Eriol ", ce personnage est mis en relation directe avec
l'un des sujets favoris de l'auteur (en tant que professeur): l'invasion
des îles britanniques par Hengest et Horsa au Vè siècle après JC.
Tolkien a donné des cours sur ce sujet à l'Université d'Oxford,
s'intéressant au conte Beowulf dans lequel apparaît Hengest. Il
ressort de cette étude que le personnage d'Eriol aurait des origines
britanniques et/ou scandinaves. Or, s'il a navigué depuis sa terre
natale comme le récit le sous-entend, et qu'il vient bien d'Angleterre,
l'île sur laquelle sont partis les elfes, Tol Eressea, qui s'est
littéralement arrachée au monde ancien, cela donne un sens plus
qu'intéressant bien que contesté à la géographie de Tolkien:
l'Angleterre et les îles britanniques des Jours très Anciens où
l'Homme n'était ni seul, ni prépondérant, ni même adulte, serait une
Angleterre parallèle à celle connue par Tolkien.
Ni tout à fait la même, ni tout à fait une
autre. Une terre à la fois imaginaire et perdue.
" Alors Lindo dit: "que
narreront les contes ce soir ? Narreront-ils les Grandes Terres, et les
demeures des Hommes ; les Valar et Valinor; l'Ouest et ses mystères,
l'Est et sa gloire, le Sud et ses contrées sauvages qui n'ont jamais
été foulées; le Nord et son pouvoir et sa force; ou bien cette île
et son peuple; ou les jours anciens de Kôr où demeura auparavant notre
peuple ?"
La Terre du Milieu connue par la trilogie du
Seigneur des Anneaux ou par le Silmarillon s'est tout à fait éloignée
de cette conception première, et il est impossible, désormais,
d'établir un parallèle avec l'Angleterre. D'ailleurs, cette dernière
est une île, alors que la Terre du Milieu est un vaste continent. Les
îles originelles (in "Book of lost Tales ") ont disparu,
sinon dans les légendes que se racontent les personnages, pour laisser
place à des terres typiquement continentales, comme la Lorien ou le
Mordor pour lesquels nous avons des cartes précises. Elles sont la
lointaine histoire, les mythes, les Mondes Perdus des habitants de la
Terre du Milieu. Ainsi, il n'y a pas de cartes sérieuses et
exploitables de Tol Eressea ou d'Aman, des terres originelles dont
parlent les légendes elfiques. Tolkien n'a laissé que des schémas
confus et illisibles, parfois même contradictoires.
b-
A partir du Silmarillon: l'Europe et l'Afrique du Nord
Pourtant, et cela est confirmé par Tolkien
lui-même dans ses lettres, s'il faut établir un parallèle entre son
monde imaginaire et le nôtre, il faut laisser de côté l'Angleterre et
les îles britanniques pour s'intéresser à l'Europe et à ses
environs. La comparaison reste hasardeuse, mais Umbar, sur la carte que
l'on a dans le Seigneur des Anneaux, ressemble vraiment beaucoup à la
côte africaine, et la mer d'Helcar peut, dans certains passages,
évoquer la Méditerranée, bien qu'elle disparaisse dans les récits
les plus tardifs (à partir du SDA). Par ailleurs, si j'ai signalé plus
haut une forte inspiration d'origine scandinave dans les textes anciens
de Tolkien, il n'en est plus de même pour la suite, et notamment au
niveau de la sémantique. Alors qu'il fabriquait ses histoires en
puisant dans les mythes scandinaves, et ses noms dans l'anglais ancien
ou le vieux nordique, il élabore par la suite de véritables langages
qui sont de nos jours affaire de spécialistes au même titre que les
langues "historiques": ainsi, les langues des Nains et des
Numenoréens sont typologiquement des langues de type sémitique, du
genre de l'Arabe ou de l'Hébreu, ce qui conforte l'idée Européenne et
Africaine de la localisation d'origine.
Par ailleurs, je signale que les plus
célèbres de ces langues "inventées", le quenya et le
sindarin, langues elfiques, sont typologiquement plus proches du gallois
( ce qui nous ramène à la Grande Marche vers l'Ouest qui aurait amené
les Elfes archaïques en Arda..)
c-
Ce qu'en a dit Tolkien :
" A kind of
legendary and history of a " forgotten epoch "
L'oeuvre de JRRT, telle que nous la
connaissons, est celle de toute une vie. Lorsque l'on se pense sur la
multitude d'écrits et autres études parues sur lui et sur son monde,
ou à la lecture de son abondante correspondance, on peut être étourdi
par les nombreuses incohérences qui apparaissent quant à sa
conceptualisation d'Arda. C'est qu'il a écrit, réécrit, réinventé,
affiné sans cesse cet univers, et la (les) mythologie(s) qui lui est
attachée. Il y a d'énormes écarts en l'Histoire de la Terre du
Milieu, relatée dans les années 1915-20, et celle que nous connaissons
mieux, des années 1940 et suivantes (le Silmarillon et la trilogie du
Seigneur des Anneaux ont bénéficié de cette lente et rigoureuse
maturation, mais leur incroyable succès en librairie a aussi contraint
l'auteur à se pencher sur des aspects qu'il n'avait peut-être pas
consciemment explorés, à l'occasion des nombreuses lettres échangées
avec ses admirateurs, des colloques et autres articles de journaux
parlant de lui.).
L'engouement d'un public anxieux de se plonger
davantage dans ce monde après avoir fermé la dernière page donne
ainsi une dimension exceptionnelle supplémentaire à l'oeuvre de
Tolkien. Ainsi, cette question des origines et des correspondances de la
Terre du Milieu avec l'Angleterre et/ou la Scandinavie trouve plusieurs
réponses paradoxales dans le courrier de l'auteur, suivant l'année de
leur rédaction, comme si, à l'occasion du problème soulevé, Tolkien
y avait réfléchi après coup et fabriqué sur pièce sa propre
théorie. Parfois, il l'a admise et même, s'en est expliqué (lettre
211 datée du 14 oct. 1958), mais sur la fin, comme dans la lettre à
Charlotte et Christopher Plimmer il affirme, après un exposé un peu
compliqué, qu'on pourrait seulement imaginer une origine spirituelle de
la Terre du Milieu en Europe du Nord, mais que ce schémas reste pour
lui inapplicable, tant géographiquement que spirituellement. Pour ce
qui est de la sémantique et de la linguistique, il dit qu'il regrette
d'avoir été obligé d'utiliser certaines terminologies d'origine
nordique (scandinave et/ou germanique) comme le mot elfe ou orc. Sa
propre vision attachée à ces vocables correspondait en réalité à un
folklore ancien et traditionnel, souvent sans équivalent en anglais, ou
déformé. Pour les Elfes, par exemple, il dit qu'il était conscient -
et le regrettait pour la compréhension de son monde tel qu'il l'a
pensé - que ce terme (et les images associées) ait été détourné et
déformé dans l'imaginaire des gens (des Anglais) par des auteurs tels
que Shakespeare.
Pour Tolkien, finalement, la Terre du Milieu
n'est pas un monde imaginaire. Il s'en explique dans plusieurs lettres,
mais je n'évoquerais ici que celle qu'il écrivit en 1956 (n°183,
p239) :
" Le nom (de la Terre du Milieu)
est la forme modernisée (apparue au XIII7 s et encore en usage) de
" Midden-Erd " ou " Middel-Erd ",
un nom ancien pour l'oikoumené, le lieu soumis aux Hommes,
objectivement le monde réel, utilisé de façon spécifique en
opposition aux mondes imaginaires (comme celui des Fées) ou aux mondes
invisibles (comme le Paradis ou l'Enfer). Le théâtre de mon récit est
cette terre, celle sur laquelle nous vivons maintenant, mais la période
historique est imaginaire ".
Ainsi, et il le répète dans une autre lettre,
il préfère utiliser notre terre (géographie) dans un temps imaginaire
plutôt que dans créer une physiquement ou de déplacer son récit sur
une autre planète. Il souligne d'ailleurs à l'occasion sa défiance
face aux fictions se référant aux autres planètes et aux aliens,,
bien qu'acceptant un parallèle créatif entre sa motivation et celle
des auteurs de SF. Pour Tolkien, il est simplement fascinant de se
retrouver dans un lieu familier si celui-ci est sublimé par
" l'enchantement de la distance du Temps "
- III- les 3 visions
du mythe du "monde perdu" chez Tolkien
TOL ERESSEA:
Ses falaises sont "emplies d'un
bavardage et d'une odeur de poisson, et de grands conclaves se tiennent
sur leurs escarpements " (allusion aux nombreux oiseaux
marins qui y ont élu domicile une fois qu'Ossë a ancré les îles au
fond de la mer). Tol Eressea est son nom dans le langage des fées
(=elfes), mais elle porte aussi bien le nom de Dor Faidwen dans celle
des gnomes, ce qui signifierait "le Pays de la Libération".
Elle se trouve très à l'ouest, après son long périple. Son histoire
est notamment racontée dans le premier des "Contes Perdus",
déjà évoqué, "la Chaumière du Jeu Perdu ".
Revenons à Eriol, puisque c'est par les
récits qu'il récolte que nous connaissons Tol Eressea. Marin, il est
fasciné par la mer, et les horizons inconnus. Il ne tient pas en place.
Il entreprend un nouveau voyage, toujours plus à l'ouest, et parvient
sur Tol Eressea, qu'il nomme " Se Uncùtha Holm":
"l'île inconnue" en vieil anglais. Les notes laissées par
Tolkien complètent les contes récoltés par le marin, et confortent la
théorie géographique des origines britanniques des terres qu'il a
imaginées. Ainsi, le nom que s'est donné Eriol (il est dit aussi que
ce sont les gnomes qui le nommèrent ainsi): ANGOL, "du même nom
que les régions de sa demeure ".
Or, Adam Tolkien pense que son père voulait
parler de la migration des premiers Anglais depuis leurs terres
originelles, en Scandinavie, vers les îles britanniques. En vieil
anglais, angel ou angul est le nom d'une région danoise se situant
entre le fjord de Flensburg et la rivière Schlei, au sud du Danemark
actuel. Il changera encore de nom pour devenir Aelfwine, " l'ami
des elfes", et dans un conte ultérieur du même nom, il est
vraiment désigné comme étant un anglais de la période anglo-saxonne
naviguant vers l'ouest par l'Océan Atlantique et découvrant Tol
Eressea. Ainsi, on peut supposer que l'extraordinaire expédition que
fut l'arrachage des fondations sous-marines de l'île Tol Eressea et son
long voyage vers l'ouest l'ont conduite... à l'emplacement
géographique de l'Angleterre que nous connaissons (de la Scandinavie à
l'Angleterre).
Pourtant, le problème n'est pas résolu, car
en terres elfiques rien n'est simple, et les clefs verrouillent
davantage qu'elles n'ouvrent les portes ! Ainsi, si Tolkien dit que le
marin Eriol est anglais cela ne signifie pas qu'il soit un "Anglais
d'Angleterre", c'est à dire un habitant de l'île tel(le) que nous
le comprenons. Il dit aussi que la terre qu'il découvre, Tol Eressea,
est, ou plutôt sera l'Angleterre que nous connaissons. Ainsi, la cité
qui se trouve au centre de l'île Tol Eressea, Koromas (ou Kortirion)
deviendrait la ville anglaise Warwick. De nombreuses correspondances
jalonnent les contes, volontairement semées par Tolkien:
Kortirion = Warwick (+ concordance
étymologique Kor- et War-)
Alalminor', le Pays des Ormes = le comté du
Warwickshire
Tavrobel = le village de Great Haywood (Comté
du Staffordshire)
VALINOR, au-delà de
l'océan de l'Ouest.
En son centre se trouve la cité de Kôr, en
souvenir de laquelle fét érigée celle de Kortirion à Tol Eressea.
"Très belle fut Kôr et les fées
l'aimèrent, et elle devint riche de chanson et de poésie et de la
lumière des rires; mais en un temps la grande Sortie de l'Avant se fit,
et les fées eussent fait renaître le Soleil Magique de Valinor,
n'eussent été la trahison et la faiblesse des coeurs des Hommes. Ainsi
est-il que le Soleil Magique est mort et l'Ile Solitaire retirée
jusqu'aux confins des Grandes Terres, et les fées sont éparpillées de
par toutes les larges voies hostiles du monde; et maintenant les Hommes
demeurent même sur cette île pâlie, et ne se soucient pas ou ne
savent rien de ses jours anciens. Pourtant toujours se trouve-t-il
quelques uns des Eldar et des Noldoli des temps anciens qui s'attardent
encore sur l'île, et l'on entend leurs chants autour des rives du pays
qui fut auparavant l'une des plus belles demeures du peuple
immortel."
Après avoir dissimulé Valinor aux yeux des
mortels (les Hommes principalement), les elfes valar Orom' et Lorien
reçurent l'ordre de concevoir des chemins secrets et magiques pouvant
conduire jusqu'à leur monde perdu. Ces chemins sont évoqués à
plusieurs reprises dans les Contes, mais surtout dans "la
Chaumière du jeu Perdu " et dans le poème "Toi &
Moi " (1915), préfigurant les poèmes "Les Aventures de
Tom Bombadil " (1962). La version la plus courante est celle
des Chemins des Rêves, conçus par Lorien, et par lesquels les
"enfants des pères des pères des Hommes" vinrent à Valinor
pendant leur sommeil. " Lorien tissa une voie de magie
délicate, et elle alla par des chemins tortueux très secrets depuis
les régions de l'Est et toutes les vastes et sauvages contrées du
monde même jusqu'aux murs de Kôr, et elle passa par la Chaumière des
Enfants de la Terre et de là descendit le sentier des Ormes Murmurants
jusqu'à ce qu'elle eét atteint la mer. Mais elle jeta des ponts
par-dessus les mers sombres et tous les détroits, avec de fines
passerelles qui reposèrent sur l'air et luisant de gris comme si elles
étaient des brumes soyeuses éclairées par une lune maigre, ou des
vapeurs de perle; pourtant, mis à part les Valar et les Elfes, aucun
Homme n'a de ses yeux contemplé cette voie sauf lors des doux sommeils
dans la jeunesse de son coeur. La plus longue de toutes les voies
est-elle, et ils sont rares à jamais atteindre sa fin, tant de pays et
d'endroits merveilleux de séduction et de ravissement traverse-t-elle
avant de jamais atteindre Elfinesse, pourtant est-elle lisse sous les
pieds, et ne se fatigue jamais celui qui emprunte ce chemin."
Dans le même texte, on apprend que le Valar Orom' fabrique une autre
voie, aérienne celle-ci: l'Arc-en-Ciel. Nùmenor: une Atlantide de
plus...
Dans plusieurs lettres, Tolkien assimila
lui-même Nùmenor, dont la destruction conduisit Valinor et Tol Eressea
à se couper du monde physique (et mortel: donc le nôtre ou un monde
proche du nôtre) à Atlantide. Rappel des faits: Avant la chute et la
destruction de Nùmenor ("The Great Isle of Westernesse), l'île
Tol Eressea (l'ancien "Paradis" elfique) ainsi que Valinor, le
royaume des Valar étaient alors accessibles aux mortels par voie
navigable, bien que le périple fét réputé dangereux. Après la
Rébellion des Nùmenoréens, les Rois des Hommes qui résidaient dans
un pays plus à l'Ouest que toutes les autres terres mortelles,
entreprirent d'envahir Eressea et Valinor. Une guerre terrible s'engagea
alors au terme de laquelle Nùmenor fut détruite, Tol Eressea et
Valinor littéralement arrachées d'Arda et du monde accessible: la
route de l'Ouest resta ouverte, mais elle ne menait désormais les
mortels nulle part sinon à leur point de départ. Dans une lettre de
1971, Tolkien ajoute qu'Aman (c'est à dire désormais Tol Eressea et
Valinor) pouvait toutefois être atteinte par certains Elfes Valar ("The
angelic immortals (...) regents under gods ") mais aussi
par des êtres possédant des pouvoirs de même nature bien que moins
importants. Ainsi en irait-il d'Olorin (= Gandalf), qui n'aurait besoin
d'aucun moyen de transport pour s'y transporter, Aman n'appartenant plus
au monde physique. Tolkien suggère dans la même lettre que des mortels
plus simples, tels que le Hobbit Frodon et ses compagnons de route,
pourrait y séjourner pour une durée limitée, ce qui se vérifie dans
le Seigneur des Anneaux..
Dans ses lettres, Tolkien fait d'ailleurs
plusieurs fois allusion à un cauchemar récurrent qu'il aurait
exorcisé en écrivant la nouvelle "La Chute de Numenor" (in
"Les Contes Perdus"), et qu'il acrédite à ce qu'il appelle
son "Complexe Atlantide":
Lettre 257 ("Letters of JRR
Tolkien", éd. HarperCollins, p347)
"(...) Another ingredient, not before
mentioned, also came into operation in my need to provide a great
fonction for strider-Aragorn. What I might call my Atlantis-haunting.
This legend or myth or dim memory of some ancient history has always
troubled me . In sleep I had the dreadful dream of the ineluctable wave,
either coming out of the quiet sea, or coming in towering over the green
inlands. It still occurs occasionally, though now exorcized by writing
about it (...). I used to draw it or write bad poems about it. When C.S.
Lewis and I tossed up, and he was to write on space-travl and I on
time-travel, I began an abortive book of time-travel of which the end
was to be the presence of my hero i n the drowning of Atlantis. This was
to be called " Numenor The Land in the West.""
Lettre 163 ("Letters of JRR
Tolkien", éd. HarperCollins, p213)
"(...) and the deep response of
legends (for lack of a better word) that I have what I could call the
North-Western tempes and temperature. Inany case if you want to write a
tale of this sort you must consult your roots, and a man of the North
West of the Old World will set his heart and the action of his tale in
an imaginary world of that air, and that situation : with the Shoreless
Sea of his innumerable ancestors to the West, and the endless lands
(...) to the East (...) I say this about the "heart" , for I
have what some might call an Atlantis complex. Possibly inherited,
though my parents died too young for me to know such thing about them,
and too young to transfer such thing by words. (...)I mean the terrible
recurrent dream (beginning with memory) of the Great Wave, towering up,
and coming in ineluctably over the trees and green fields. (I bequeathed
it it to Faramir) I don\rquote t think I have had it since I wrote
the"Drownfall of Numenor" as the last of the legends of the
first and second Age."
D'Aman, on ne sait que peu de chose, ce qui est
notable dans l'Oeuvre de JRRT. On ne la connaît que par des légendes,
lesquelles sont la plupart du temps nées d'esprits humains ou de Sindar
n'ayant jamais quitté les Terres du Milieu. Aman est donc un monde
perdu pour un monde perdu (imaginaire) pour nous: Arda. Pourtant, comme
l'île où repose le roi Arthur en attendant de revenir parmi nous, la
légende suggère à défaut de le promettre, qu'elle sera de nouveau
accessible pour nous un jour. Quant à Nùmenor, à l'instar
d'Atlantide, elle est perdue à jamais, détruite. Anéantie. Seule la
mémoire, la connaissance et la transmission de son histoire et des
raisons de sa chute lui accordent de se survivre par le mythe. Plus
qu'un Monde Perdu, Tolkien nous répète à l'infini l'histoire
fondatrice et universelle des peuples: Aman est le Paradis Perdu, et
Nùmenor est à la fois le Pêché Originel, Atlantide, Mé et tous les
autres Mondes Perdus...
© Claire PANIER septembre 1998
à suivre: " La place tenue par les
arts dans l'oeuvre de Tolkien" " La place tenue par la
religion dans l'oeuvre de Tolkien" " La place de la
science, dont l'astronomie, dans l'oeuvre de Tolkien