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mise à jour :

3/4/2004

 

LA PLACE TENUE PAR LES ARTS DANS L’OEUVRE DE JRR TOLKIEN

 

article paru dans la revue Faeries (n°1, 2000)

 

            Dans les récits relatifs à l’histoire des Terres du Milieu, une chose (entre autres...) m’a toujours frappée, fondue dans la magnifique plume de JRR. Tolkien et sa puissance d’évocation: la place tenue par les arts dans le récit. Dans une oeuvre déjà imposante par le désir constant de l’auteur de bâtir un monde  (élaboration de langues, de légendes, de faits historiques, de religion), de très nombreuses évocations artistiques effleurent à la surface des aventures relatées.  Il y est souvent question de musique, de sculpture, d’architecture, et de poésie... Les arts y font l’histoire, ou plutôt ils sont les seuls éléments tangibles faisant le lien entre la réalité vécue par les personnages et les innombrables évocations du passé qui tissent la trame de l’oeuvre, que ce soit pour la trilogie du Seigneur des Anneaux, ou le Silmarillon, les Contes Inachevés et les autres textes bâtisseurs des Terres du Milieu.

 

 

 

DES ARTS ET DES PEUPLES

I- L’art pictural:

 

            L’écriture: calligraphie, runes et autres cyrthes: pour « le dire »...

 

            Les graphies utilisées à l’époque du Troisième Age (avant ?) étaient d’origine Sindar(16), donc elfiques. A cette époque, elles étaient déjà très élaborées et comportaient un alphabet complet, mais des modes de transcription plus anciens subsistaient dans lesquels n’étaient utilisées que les consonnes. Il y en avait deux sortes, les TENGWAR (ou Tîw), utilisant des lettres, et les CERTAR (ou Cirth ou Cyrthe), utilisant des runes.

            Les tengwar avaient été inventés par les Noldor, bien avant leur départ en exil.  Les antiques lettres des Eldar s’appelaient tengwar de Rùmil, et n’étaient pas usitées dans les Terres du Milieu.  Plus tardifs étaient les tengwar de Fëanor, inspirés des Rùmil et plus répandus. Ces caractères furent introduits en Terres du Milieu par les Noldor exilés, et adoptés par les Edains et les Nùmenoréens.

            Les cyrthes furent inventés par les Sindar, au Beleriand. Ces runes ne servirent longtemps que pour tracer des noms ou de brèves épitaphes, sur le bois ou la pierre, d’où leur forme anguleuse qui les apparente assez aux runes celtiques que nous connaissons chez nous. Au Second Age, les cyrthes  furent adoptés à l’Est par beaucoup de monde: des Hommes, des Nains et des Orques. Chaque peuple les adapta selon ses besoins et ses aptitudes.

            Au Beleriand, dès le Premier Age, les cyrthes furent remaniés et se développèrent en partie sous l’influence de l’alphabet twengar des Noldor. Le plus complexe est l’alphabet cyrthe dit « Alphabet de Daeron ».

            La plupart des Elfes de l’Occident abandonnèrent les runes, sauf en Eregion où l’ Alphabet de Daeron avait toujours cours, d’où il passa dans la Moria. Les Nains de la Moria le gardèrent, et l’emportèrent plus tard avec eux dans le Nord, où, pendant très longtemps, cette graphie très particulière (longues lignes) porta le nom de Angerthas Moria. Ces mêmes Nains aimaient tracer ces runes à la plume, ce qui en fait une forme artistique de calligraphie.

            Artistiquement parlant, les Orques s’exprimaient et racontaient leur histoire en laissant des « graffitis » sur leur passage, comme si cette belle mais étrange calligraphie runique leur suffisait. Peut-on toutefois considérer ce qui est une forme d’écriture (dont le sens nous échappe) comme un art, aussi « artistique » que puisse nous apparaître cette étrange calligraphie ? Pourtant, au regard des exemples de calligraphie elfique donnés dans « Pictures of J.R.R. Tolkien »[1], il est difficile de croire le contraire, en raison même de la beauté des lignes, du mystère qu’elles dégagent, et de la fascination que cela éveille chez qui se penche sur le sujet.

 

            L’Art Figuratif:

 

            A première vue, il semble qu’Elfes et Hommes ne peignent pas.

            Les Hobbits aiment chanter et raconter des histoires, ce qui en soit est une forme d’expression artistique qui vaut bien toutes les autres, ce n’est pas dans ces pages qu’on dira le contraire, n’est-ce pas ? Toutefois, il est intéressant de s’interroger sur l’absence apparente de la peinture dans l’oeuvre de Tolkien, lequel était peintre lui-même.  J’ai toutefois relevé une allusion à des tableaux dans « la Chaumière du Jeu Perdu »[2], sur l’Ile Solitaire (Tol Eressëa):

            « Eriol vit maintenant qu’ils se trouvaient dans un couloir court et large dont les murs étaient recouverts de riches tapisseries jusqu’à mi-hauteur; et sur ces tapisseries étaient représentées de nombreuses histoies dont il ne connaissait alors le sens. Au-dessus des tapisseries il semblait y avoir des tableaux, mais il ne pouvait voir dans la pénombre, car les porteurs de chandelles étaient à l’arrière, et devant lui la seule lumière provenait d’une porte ouverte à travers laquelle se déversait une lueur rouge comme celle d’un grand feu. » 

            La peinture est étrangement absente, c’est vrai, mais elle est plus que dignement remplacée par la tapisserie numenoréenne[3].

            On peut se faire la réflexion suivante: si l’on devait trouver un parallèle, un repère « temporel » entre le monde créé par Tolkien et le nôtre, on pourrait dire que son monde se situe à une époque « culturelle » du type moyenâgeuse (on le verra plus loin, les temps tolkieniens ne peuvent pas se définir suivant les mêmes schémas que les nôtres puisque l’échelle est beaucoup plus grande mais les modes de vie, pour ce qu’on en sait, ne changent guère, sur des périodes s’étendant sur plusieurs milliers d’années. Ainsi, lorsque l’on pénètre dans la Moria, figée depuis des siècles et des siècles, on constate seulement qu’elle fut magnifique en son temps, mais qu’elle est abandonnée au silence, à la poussière et aux ténèbres. Bref, s’ils le voulaient, des Nains tels que Gimli pourraient décider de lui rendre vie en y installant une nouvelle communauté au terme de la Guerre de l’Anneau, sans y être dépaysés par les siècles qui se sont écoulés. De nos jours, si nous décidions de nous installer dans un village gaulois, ce serait une autre affaire, non ?). A l’époque des contes et légendes, en somme (Tolkien était un spécialiste du folklore).

            Si nous acceptons cette idée, on peut se dire qu’à cette époque (IXè-Xè siècle), la peinture n’était pas très développée dans le monde occidental, c’est le moins qu’on puisse dire. D’une part, la toile n’existait pas, d’autre part les pigments étaient rares. Cela ne veut pas dire qu’on ne peignait pas, et cela n’explique nullement l’absence d’évocations de ce type chez Tolkien. D’ailleurs, si on oublie un peu la peinture, pourquoi ne pas parler de fresques murales du type « mosaïques »?

            Il existe quelques très belles évocations de tapisseries dans l’oeuvre de J.R.R.T.  Il s’agit essentiellement de motifs floraux. Les tapisseries de Númenor que l’on peut voir dans « Pictures of JRR Tolkien » ou qui sont évoquées dans les textes n’illustrent en effet pratiquement jamais de thèmes mythiques ou de scènes telles que la chasse ou la vie quotidienne. Dans le SdA ainsi que dans le Silmarillon, elles apparaissent à plusieurs reprises, mais il ne s’agit pas toujours d’ouvrages numénoréens[4].

            Ainsi, dans la si belle demeure du roi elfe Thingol (voir plus bas), au Premier Age, la reine Melian et les dames de sa suite tissaient des tapisseries racontant l’histoire des Valars et des Sindar. Des superbes mosaïques multicolores recouvraient le sol. On retrouve le même phénomène chez les Hommes, où, en Rohan dans le palais du roi Théoden, des tapisseries représentant « des figures de l’ancienne légende », dont Eorl sur son destrier blanc... Et les habitants de Tol Eressëa, nous l’avons vu dans l’extrait cité plus haut, pratiquaient ou du moins possédaient des tapisseries dans leurs demeures. Pour ces derniers, étant donné le rôle de conteurs qu’ils occupent (fondamental par ailleurs puisque le voyageur solitaire qui vient se perdre sur Tol Eressëa y est reçu à bras ouverts et récolte tous les contes qui évoquent l’histoire des Elfes et de leur disparition du monde des Hommes: les tapisseries qui jalonnent le long couloir menant à la salle des conteurs, tout comme les tableuaux qu’il ne parvient pas à détailler, participent sans doute à ce rôle de Mémoire des habitants de l’Ile Solitaire).

            A l’inverse, dans la salle du trône de Minas Tirith, où Denethor reçut Gandalf et Pippin, il n’y avait « aucune tapisserie ni tenture historiée, ni aucun objet de tissu ou de bois ».  C’était en Gondor, c’est vrai, et Gondor, en langue Sindar, signifie « pays de la pierre »... Néanmoins, le fait que Tolkien précise cette absence en donne toute son importance. Pour lui, il semble bien que l’art, comme décors, comme indice de civilisation, ou comme moyen de raconter à tous et à jamais ce qui est arrivé, avait son importance. Or, dans une lettre[5] à l’une de ses admiratrices, Rhona Beare, JRR Tolkien explique que pour lui, Numenor et surtout ses descendants de Gondor, peut s’assimiler à l’Égypte ancienne, notamment à cause de ses monuments de pierre et de son rapport avec la longévité, et la mort. Les nobles numenoréens se faisaient embaumer et bâtir des tombeaux de pierre, cherchaient le savoir dans les étoiles et confiaient à la pierre leurs espoirs de vie éternelle. Jusqu’à la couronne à deux étages de Gondor et Arnor qui ressemble à la double-couronne de Haute et Basse Égypte) !

            Pour en revenir aux représentations artistiques, Tolkien explique dans la même lettre que s’il parvient sans mal à visualiser les paysages naturels qu’il créée et qui sont l’un des moteurs essentiels de la puissance évocatrice du roman, il n’en est pas de même avec les objets, d’où, sans doute, la rareté des descriptions de vêtements et autres objets. Et encore plus d’objets figuratifs !

            D’autres éléments artistiques sont omniprésents dans ses textes, et qui le soutiennent, car, comme je vais essayer de le montrer, ils ont un rôle à jouer.

 

II- Sculpture et orfèvrerie:

 

            Il n’y a pas une foule d’évocations de sculptures dans le SdA, mais on en trouve quelques unes, de facture humaine, comme les statues des Rois qui longent l’Anduin de part et d’autres, ou encore les sculptures sur le Chemin des Morts, ou la statue du roi tombée à la Croisée des Chemins en Ithilien. Par ailleurs, il y a les gisants, sur les tombes des Intendants pour ne citer qu’elles. Il semble donc que la sculpture ait un rôle mortuaire, un lien intime avec la mémoire, avec le passé (généralement lointain, glorieux et révolu) et la mort. De ce fait, ces représentations artistiques sont sobres et austères, un peu effrayantes parfois, mais généralement de taille imposante.

            Les Noldors et les Nains sont les grands spécialistes du façonnage des métaux: ils cisèlent, ils forgent. Les oeuvres des orfèvres Noldor[6] et celles des Naugrim[7] sont nombreuses, et souvent évoquées. La plupart du temps, les objets ont un rôle assez important pour la suite de l’aventure, et leur beauté grave, une fois de plus, sert le dessein d’historien de l’auteur. Ces objets racontent les temps anciens, souvent glorieux, en permettent le souvenir et la leçon. Parfois, ils servent de clef, d’indice ou d’aide (il s’agit presque à chaque fois d’épées). Malgré leur ascendance elfique, les Humains de Nûmenor[8], aussi appelés les Dúnedains, sont également de grands orfèvres et sculpteurs, ce qui souligne peut-être leur intérêt pour la culture des Nains[9].

            Je pourrais citer:

·      le sceptre de saphir de Manwë[10], de fabrication Noldor

·      la cotte de mithril[11] de Bilbo (donnée ensuite à Frodon), oeuvre des nains du Mont Solitaire

·      les broches en forme de papillon trouvées par Tom Bombadil dans le trésor du Galgal

·       les broches en forme de feuille verte, données par les Elfes de Lorien aux Hobbits et autres membres de la Communauté dans le SdA

·      les épées courtes à lame filigranée également trouvée par Tom Bombadil dans le trésor du Galgal, qu’il donne aux Hobbits, de fabrication númenoréenne[12], donc humaine.

·      les épées forgées par les Elfes de Gondolin (Orcrist, Glamdring et Sting) que Bilbo trouve dans l’antre des Trolls

·      Narsil lui-même, le glaive forgé par le nain Telchar de Nogrod[13], qui fut brisé lorsque Elendil mourut en combattant Sauron, et reforgée pour Aragorn sous la nom d’Anduril.... (« Les Deux Tours »)

·      L’épée Angrist, « le Couperet », poignard volé par Beren qui s’en servit pour enlever le Silmaril de la couronne de Morgoth.  Également forgé par le nain Telchar.

·      les statues de Minas Tirith, laissées par les Dúnedain.

            Mais certains diront que l’orfèvrerie des Noldors et des Nains, essentiellement des armes, n’est par une forme d’art. Pourtant, il me semble indéniable que certaines de ces réalisations sont si élaborées, fines et délicatement travaillées qu’elles sont le fruit d’un savoir faire, d’un talent artistique évident. C’est de l’artisanat d’art. Et puis, si on refuse vraiment ce qualificatif aux armes elles-mêmes, que dire des représentations d’or et d’argent des Arbres de Valinor, Glingal et Belthil, réalisées par Turgon à Gondolin (dans le Silmarillon) ? de l’Arkenstone des Nains (dans Bilbo le Hobbit) ou du bateau-cygne de Galadriel, en Lorien (dans le Seigneur des Anneaux) ?

            Et que dire de la demeure de Thingol et de Mélian[14], dans le Silmarillon, oeuvre des Nains à l’époque où ils étaient encore amis avec les Elfes de Beleriand:

« ... Les piliers étaient sculptés à la ressemblance des bouleaux d’Oromë, tronc, branches et feuilles, et éclairés par des lampes d’or (...) Il y avait des fontaines d’argent et des bassins de marbre, et les sols étaient dallés de pierres multicolores. Des images ciselées d’oiseaux et d’animaux couraient le long des murs, grimpaient sur les piliers ou jetaient un regard à travers les branches entrelacées de nombreuses fleurs ».

            Que dire encore du collier Nauglamir, oeuvré par les Nains de Belegost pour Finrod Felagund, et qui fit partie du trésor de Nargothrond[15]. Ce même collier où Thingol fit enchâsser plus tard le Silmaril de Beren et de Lúthien ?

            Enfin, s’il fallait encore prouver que l’art des orfèvres de Tolkien fait partie intégrante du roman, y jouant un rôle fondamental, je ne peux passer au chapitre suivant sans évoquer les pièces maîtresses, comme celles d’un échiquier: les SILMARILS[16], créés par Fëanor, le plus grand des Noldor, et les ANNEAUX DU POUVOIR[17], de faction elfique.

 

III- La musique:

 

            Il y a d’innombrables chansons et poèmes dans l’oeuvre de Tolkien. Tout le monde y va de sa chansonnette, drôle, revigorante, instructive ou grave selon les circonstances et les besoins. Chacun à ses raisons de chanter, et sa façon de le faire, suivant sa personnalité, laquelle est la plupart du temps un trait de caractère des personnages d’un même peuple.

 

            Les Hobbits en sont friands.

Les exemples sont innombrables. Ici, une chanson à boire... Pour oublier ses craintes !

            « Ils ne tardèrent pas à rire, se moquant de la pluie et des Cavaliers Noirs. Ils sentaient que les derniers milles seraient bientôt derrière eux.

            Frodon s’appuya le dos contre un tronc d’arbre et ferma les yeux. Sam et Pippin, assis à côté, commencèrent à fredonner, puis à chanter doucement:`

Ho ! ho! ho! à la gourde je recours

Pour calmer mon coeur et noyer ma peine.

La pluie peut tomber, le vent peut souffler,

Et bien des milles être encore à parcourir,

Mais sous un grand arbre je m’étendrai,

Laissant les nuages voguer dans le ciel.

            Ho! ho! ho! reprirent-ils plus fort. Ils s’interrompirent brusquement. Frodon se dressa d’un bond... »

 

            Gandalf lui-même chante, ici pour défendre l’honneur de Galadriel, juste avant de frapper:

« -Ce qu’Eomer nous a rapporté est donc vrai: vous êtes de connivence avec la sorcière du Bois d’Or ? dit Langue de Serpent. Il n’y a pas à s’en étonner: on a toujours tissé des toiles de fourberie à Dwimordene.

            Gimli fit un pas en avant, mais il sentit soudain la main de Gandalf qui lui saisissait l’épaule, et il s’arrêta, rigide comme une pierre.

            « A Dwimordene, en Lorien,

            Rarement se sont posés des pieds d’Hommes,

            Peu d’yeux mortels ont vu la lumière

            Qui là règne toujours, durable et brillante.

            Galadriel! Galadriel!

            Claire est l’eau de ta source;

            Blanche est l’étoile dans ta blanche main:

            Sans altération, sans tâche sont la feuille et la terre

            A Dwimordene, en Lorien,

            Plus belle que les pensées des Hommes Mortels. »

            Ainsi chanta doucement Gandalf; puis, brusquement, il changea. Rejetant son manteau en loques, il se redressa sans plus s’appuyer sur son bâton, et il parla d’une voix claire et froide. »

 

            Les elfes, même les plus grands, comme ici Galadriel et Celeborn, chantent:

            « Au milieu du vaisseau était assis Celeborn, et derrière lui se tenait Galadriel, grande et blanche; un bandeau de fleurs d’or ceignait ses cheveux; dans sa main, elle tenait une harpe, et elle chantait. Triste et doux était le son de sa voix dans l’air clair et frais:

J’ai chanté les feuilles, les feuilles d’or, et là poussaient des feuilles d’or;

J’ai chanté le vent, un vent vint là, qui dans les branches souffla.

Au-delà du Soleil, au-delà de la Lune, l’écume était sur la Mer,

Et près de la grève d’Illmarin poussait un arbre d’or.

Sous les étoiles du Soir-éternel en Eldamar il brillait,

En Eldamar près des murs de l’Elfique Tirion.

Là, longtemps, les feuilles d’or ont poussé au long des années heureuses

Tandis qu’ici, au-delà des Mers Séparatrices, coulent maintenant les larmes elfiques.

O Lorien! l’Hiver s’avance, le Jour nu et sans feuille;

Les feuilles tombent dans la rivière, la Rivière s’écoule.

O Lorien ! Trop longtemps suis-je restée sur ce Rivage

Et en une couronne évanescente ai-je tressé l’elanor d’or;

Mais si je devais maintenant chanter les navires, quel navire viendrait à moi;

Quel navire me porterait jamais au-delà d’une si vaste Mer ?

Aragorn arrêta son embarcation tandis que le navire-cygne l’accostait. la Dame termina son chant pour l’accueillir. »

 

            Il y a toutes sortes de chants. Des énigmes, des chants funèbres, des chants de guerre pour se donner du courage, des chansons pour se raconter des histoires, pour évoquer les temps anciens, des chansons de marche...

            La plupart du temps, contexte oblige, les chansons se font à capela, mais il arrive qu’il y ait de petits accordéons ou des flûtes (dans la Comté), des cors, des harpes...

            On ne peut vraiment placer ceci dans le cadre des Arts, et pourtant, cela en est, puisque c’est de la musique. Et une fois encore, cela fait corps avec le récit, dans lequel cela a un rôle à jouer.

            « Maintenant Lindoet moi, Vairë, avions pris sous nos soins les enfants - le restant de ceux qui découvrirent Kôr et restèrent avec les Eldar pour toujours: et ainsi nous bâtimes ici avec de la bonne magie cette Chaumière du Jeu Perdu; et ici les anciens contes, les anciennes chansons et la musique elfique sont préservés précieusement et répétés. » « la Chaumière du Jeu Perdu  » p 32

 

IV- l’Art au coeur de l’Oeuvre:

 

            Comme je l’ai évoqué plus haut, l’art des orfèvres est véritablement au coeur de l’oeuvre de Tolkien, puisque c’est autour de leurs plus belles créations que s’est bâtie l’histoire des Terres du Milieu. Le Premier Age, nous l’avons vu, est consacré aux Silmarils qu’il faut reprendre à tout prix à Morgoth pour empêcher les ténèbres de s’emparer du monde à tout jamais. Au terme du Second Age, Sauron, serviteur de Morgoth, essuie sa première défaite et Isildur s’empare de l’Anneau Unique. Le Troisième Age, c’est la Guerre de l’Anneau (et les longs périples de Bilbo puis de son neveu Frodon (« Bilbo », « Le Seigneur de l’Anneau »: 1- « La Communauté de l’Anneau », 2- « Les Deux Tours » et 3- « Le Retour du Roi ») pour détruire celui-ci...

 

            Un peu d’histoire...

 

            Au cours du Second Age, de nombreux Elfes, Sindar[18] et Noldor, quittèrent les terres du Lindon, à l’ouest de l’Ered Luin, pour l’est où certains Sindar fondèrent des royaumes, régnant sur des elfes sylvains. Plus tard, en 750, certains d’entre eux, les Noldor, partirent pour l’ouest des Monts Brumeux, en Eregion, et près de la Porte Ouest de la Moria, où ils espéraient trouver du mithril. Une amitié se noua entre les Nains de Durin et les forgerons-Elfes d’Eregion. Le Seigneur d’Eregion, Celebrimbor, était lui-même un grand orfèvre. on dit qu’il était le plus grand parmi les siens (d’ailleurs, il descendait de Feänor, le créateur des Silmarils). Vers l’an 1000, Sauron, qui s’agitait de nouveau en Terre du Milieu et qui s’inquiétait de la puissance croissante des Numénoréens (parvenus en 600 au large des côtes), se retrancha dans le Mordor qu’il fortifia: Il commença alors la construction de Barad-dûr. Deux siècles plus tard, il entreprit de séduire les Eldar. Les elfes-forgerons de l’Eregion de joignirent innocemment à lui.

            Sauron leur apprit son savoir faire, et ils devinrent maîtres dans leur art. C’est 1500 qu’ils commencèrent à forger les Anneaux du Pouvoir. En 1590, ceux-ci furent parachevés en Eregion, alors qu’en 1600, Sauron forgeait l’Anneau Unique dans les tréfonds de l’Orodruin et achevait la construction de sa forteresse Barad-dür. A la même époque, Celebrimbor, le Seigneur de l’Eregion, comprit ses véritables desseins.

            En 1693 éclata la terrible guerre entre les Elfes et Sauron, et les Trois Anneaux (ceux des Elfes), furent cachés. En 1697, Celebrimbor mourut, et les Portes de la Moria furent fermées. Dans les années 1700, Sauron essuya plusieurs défaites, mais un siècle plus tard, il affermit sa puissance sur les terres orientales. L’Ombre gagnait Númenor.

            La guerre se poursuivit avec maints revirements sanglants jusqu’en 3441. Une dizaine d’années auparavant, alors que la Dernière Alliance entre des Elfes et des Hommes était conclue, Sauron recommença à perdre pied. En 3434, l’armée de l’Alliance franchissait les Monts Brumeux, Sauron perdit la terrible bataille de Dagorlad et le siège de Barad-dûr commença.

            En 3441, donc, Sauron fut vaincu par Elendil qui trouva la mort. Isildur s’empara de l’Anneau Unique alors que Sauron s’éclipsait dans l’Ombre. Ainsi prit fin le Second Age.

            Durant le Troisième Age, les Eldar commencèrent à décliner, profitant d’une longue période de paix: ils gardaient les Trois Anneaux des Elfes, de Sauron on n’entendait plus parler, et l’Anneau Unique avait disparu, perdu. Tous semblaient vivre sur leurs souvenirs, et les cultures s’étiolaient.

            Les Nains se cachaient sous terre, gardant jalousement leurs trésors, jusqu’au retour des Dragons et du Mal (en 2570 du 3è Age). Ils perdirent tous leurs biens, leurs trésors furent pillés et ils devinrent un peuple errant. La Moria restait un lieu sûr mais sa population commença à décliner et son savoir-faire à se perdre.  En 2845, le nain Thràin fut capturé et on lui prit le dernier des Sept Anneaux des Nains.

            Quant aux Anneaux, les trois Anneaux des Elfes restèrent à la garde des Eldar: Gil-Galad, Galadriel et Círdan. Avant de mourir, Gil-Galad confia le sien à Elrond. Quant à lui, Círdan confia le sien au Mage Mithrandir (Gandalf) en lui disant:

« Prends donc cet anneau, maître, car rudes seront tes travaux; et Il te sera d’un grand secours dans les labeurs que tu vas assumer. Car voici l’Anneau de Feu, et grâce à Lui, tu pourras raviver la flamme dans les coeurs en ce monde que gagne le froid. Mais quant à moi, mon coeur est tourné vers la Mer, et je vivrai sur ces sombres grèves jusqu’à ce que le dernier navire ait appareillé. Je t’attendrai. »

            Pour indication, en 2931, le 1er mars, naît Aragorn, fils d’Arathorn II et de Gilraen. Deux ans plus tard son père est tué et sa mère l’emmène à Imladris où Elrond le prend sous sa tutelle, lui donne le nom d’Estel (=Espoir) est ne lui révèle rien de son ascendance.

            Dix ans plus tard, en 2941, Gandalf et le nain Thorin-Ecu-de-Chêne se rendent dans la Comté pour voir Bilbo le Hobbit. La même année, Bilbo rencontre Sméagol-Gollum et trouve l’Anneau-Unique, perdu depuis plusieurs milliers d’années! l’Année suivante, au terme d’une épuisante aventure, Bilbo rentre chez lui avec l’Anneau. Sauron retourne au Mordor où il entame sa chasse.

            Dix années passent encore, et en 2951, Elrond révèle sa véritable identité au jeune Estel (=Aragorn), et lui remet les tronçons de l’épée brisée d’Isildur, Narsil. En 2953,  le Conseil Blanc se réunit (pour la dernière fois) et Gandalf et ses pairs  discutent du sort des Anneaux.

            3001, Bilbo décide de faire un grand festin d’adieu et Gandalf devine que c’est lui qui détient l’Anneau Unique. En 3018 commence la grande aventure du « Seigneur des Anneaux »: le 12 avril Gandalf revient dans la Comté, à Hobbitebourg pour voir Frodon, à qui Bilbo a confié l’Anneau.

            Le 25 mars de l’année suivante, Frodon et son compagnon Samsagace parviennent enfin au Sammath Naur où ils affrontent Gollum. Ce dernier s’empare de l’Anneau mais tombe dans les Crevasses du Destin. C’est la fin de Sauron et la chute de Barad-dûr, et l’Ombre se dissipe des Terres du Milieu mais il faut encore anéantir Saroumane (3 novembre 3019).

 

            On le voit bien, tout tourne autour des Anneaux. Mais, bien sûr, leurs qualités artistiques ne sont pas en cause, et ce n’est pas pour leur valeur marchande qu’ils sont si convoités, mais pour leur pouvoir. Celui qu’ils détiennent, celui qu’ils confèrent. Bien sûr, nous sommes dans un univers de Fantaisy, et la magie, le surnaturel et les forces terribles qui s’affrontent n’ont rien à voir avec les puissances qui mènent le nôtre. Ainsi, par exemple, certaines créations des Nains étaient si ingénieuses qu’elles nous apparaissent magiques.

            C’est le cas de la serrure du Mont Solitaire, décrite dans Bilbo le Hobbit qui permettait de pénétrer dans la caverne du dragon Smaug. Voici comment elle était conçue: sur la carte de Thror se trouvait un texte tracé en lettres lunaires, et écrite suivant un procédé connu des Nains seuls impliquant les rayons de lune. On ne pouvait lire ces mots que s’ils étaient éclairés par une lune semblable en tous points à celle qui avait été utilisée pour les tracer. De même, la serrure n’apparaissait sur la porte que lorsque qu’elle était touchée par les derniers rayons du soleil et les premiers rayons de lune, ce qui ne se produisait qu’à un jour bien précis (on retrouve certains traits propres à l’art (architecture) égyptienne, comme les puits obliques se trouvant dans les pyramides et attendant la conjonction de certains astres).

 

 

 

Conclusion:

            Si on peut chercher à l’infini des évocations artistiques dans les pages de Tolkien, ou préférer les trouver dans son écriture elle-même (la magnifique poétique du Silmarillon et des Contes... Ou bien les descriptions des paysages par le narrateur), il ne faut pas négliger les innombrables peintures qui sont nées de son oeuvre par la suite et qui ne cessent de nous ravir. D’immenses artistes comme Alan Lee, John Howe ou Fletcher pour ne citer qu’eux s’adonnent à cette passion, et illustrent avec talent les pages de J.R.R.T..

            Tolkien a écrit et/ou suggéré des faits, des légendes, des terres qui font de cet univers Fantaisy une sorte de drogue pour ceux qu’il a touchés. C’est un monde à part, un ailleurs séduisant qu’il reste à explorer, à trouver. Un monde qui n’est pas statique, ni dans sa lecture et ses relectures éventuelles, ni dans son existence dans notre monde aujourd’hui: il n’y a qu’à voir sa vie intense sur Internet. Sites, listes, forums, jeux de rôles, clubs plus ou moins officiels, merchandising... pullulent.

 

 

par Claire Panier-Alix © 8/1998

 

BIBLIOGRAPHIE:

 

Tolkien, Le Silmarillon, , ed. Christian Bourgois

Tolkien, Contes et Légendes Inachevés, , ed. Christian Bourgois

Tolkien, Le Livre des Contes Perdus, ed. Christian Bourgois

Tolkien, Bilbo le Hobbit, ed. Christian Bourgois

Tolkien, Le Seigneur des Anneaux (La Communauté de l’Anneau - Les Deux Tours - Le Retour du Roi), , ed. Christian Bourgois

(NOTE: chacun de ces livres, Bilbo mis-à-part, contiennent des annexes et notes abondantes)

Tolkien, The Return of the Shadow, éd. George Allen & Unwin Publishers

 

David Day, L’Anneau de Tolkien (ill. Alan Lee), ed. Christian Bourgois

ouvrage collectif, Le Royaume de Tolkien, éd. Glénat

 

 

 


[1] [1]  également dans « J.R.R. Tolkien: artist & illustrator » par W. Hammond et C. Scull, éd. Harper Collins

 

[2] JRR. Tolkien, Le livre des Contes Perdus, tome I, p 28

[3] dont on a également quelques exemples dans « Pictures of J.R.R. Tolkien ».

[4] [4] Númenorë en langage elfique quenya, ce qui signifie « Terre d’Ouest », c’est une grande île préparée par les Valar pour accueillir les Edains (ou Atani: « le second peuple », c’est-à-dire les Humains) après la fin du Premier Age. Elle porte de nombreux autres noms comme Andor, Elenna, Le Pays de l’Etoile, et, après sa submersion, Akallabêth...

 

[5] in « The Letters of JRR Tolkien », éd. H. Carpenter, Harper Colins, lettre n°211

[6] Noldor: les Elfes Profonds, seconde légion des Eldar pendant la marche vers l’ouest depuis Cuivénen. Ce mot signifie « Les Sages » en langue elfique quenya, dans le sens de « ceux qui détiennent le savoir ».

[7] les Nains

[8] Númenorë en langage elfique quenya, ce qui signifie « Terre d’Ouest », c’est une grande île préparée par les Valar pour accueillir les Edains (ou Atani: « le second peuple », c’est-à-dire les Humains) après la fin du Premier Age. Elle porte de nombreux autres noms comme Andor, Elenna, Le Pays de l’Etoile, et, après sa submersion, Akallabêth...

[9] leur langue, l’Adûnaic, comporte de nombreuses influences de la langue Naugrim.

[10] Manwë: le premier des Valars, aussi appelé Súlimo, l’Ancien Roi ou encore le Maître d’Arda, dans Le Silmarillon

[11] mithril: métal très rare et très précieux extrait dans la mine de la Moria, aux propriétés quasi magiques. Extrêmement résistant.

[12] Aussi appelés les Dúnedain, les Edains de l’Ouest.

[13] Telchar est le plus célèbre forgeron de Nogrod, l’une des deux cités des Nains des Montagnes Bleues. Le nom en langue sindarin est Tumunzahar.

[14] Thingol (« Robe Grise ») est l’autre nom d’Elwë, le Roi Caché, qui fut le chef de la légion des teleri partie de Cuivénen vers l’ouest, avant d’êtreSeigneur des Sindar, puis roi de Doriath avec Melian. C’est un Elfe de la Nuit, comme tous ceux qui ne traversèrent pas la Grande Mer. Il reçut le Silmaril de Beren et mourut à menegroth , tué par les Nains. Mélian était une Maia qui quitta Valinor pour les terres du Milieu où elle devint reine de Thingol à Doriath autour de quoi elle établit une barrière enchantée, l’Anneau de Melian. C’est la grand-mère d’Elrond.

[15] Le Nargothrond, c’est « la grande forteresse souterraine sur la rivière Narog », fondée par Finrod Felagund et détruite par Glaurung, le premier dragon de Morgoth, aussi appelé Père des Dragons ou le Grand Ver,  mais aussi le royaume qui s’étendait de part et d’autre du Narog.

[16] Les Silmarils sont trois joyaux créés par Feanor juste avant la destruction des Deux Arbres de Valinor et qui donnent la même lumière que ceux-ci. le Silmarillon relate les légendes des Temps Très Anciens (le Premier Age) où le premier prince de lza Nuit, Morgoth, se trouvait encore sur les Terres du Milieu, et où les Elfes lui faisaient la guerre pour lui reprendre ces Silmarils.

[17] « Trois Anneaux pour les Rois Elfes sous le ciel,

Sept pour les Seigneurs Nains dans leurs demeures de pierre,

`Neuf pour les Hommes Mortels destinés au trépas,

Un pour le Seigneur des Ténèbres sur son sombre trône

Dans le Pays de Mordor où s’étendent les Ombres.

Un anneau pour les gouverner tous, Un Anneau pour les trouver,

Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier

Au Pays de Mordor où s’étendent les Ombres. »

Ainsi commence le Seigneur des Anneaux.

[18] Les Sindar, ou « Elfes-Gris » sont les Elfes venus des Teleri, ou « Chanteurs », 3è légion des Eldar marchant vers l’Ouest sous conduite de Thingol et de son frère Olwë. Beaucoup de Teleri ne quittèrent pas les Terres du Milieu, et les Sindar, comme les Nador, étaient d’origine Teleri.

par Claire Panier-Alix © 8/1998