Mégalithes
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© 1999 Claire Panier

Introduction: symbolisme et croyances

"De Stonehenge, en Angleterre, à Newgrande, en Irlande, jusqu'à Carnac, dans le Morbihan, une troupe de granit, dont chaque menhir serait un soldat, monte la garde."

    · L'ESPACE

Il existe un processus de sacralisation de l'espace pendant la préhistoire qui se comprend par la délimitation de l'espace (une aire volontairement dégagée par l'homme, ce qui la rend autonome). Cette aire dégagée artificiellement et dans un but précis s'est rapidement vue spécialisée, attribuée à des fonctions collectives, instituée. L'espace ainsi accaparé et transformé devint donc l'un des ciments (sinon la matrice principale) de la vie en collectivité (communauté, par opposition à la simple notion de groupe.)

A partir de là, un besoin "architectural" s'est lié à un symbolisme naissant, obsédant, faisant penser à la naissance d'une religion telle que nous pouvons la concevoir: croyances, rites, cérémonies. Auparavant, l'espace sacré, que j'appellerai "sanctuaire", trouvait sa place dans un espace "préconstruit" par la Nature, comme une partie de la grotte (il ne faut pas négliger l'aspect passionnant de cette récupération hautement symbolique de l'espace souterrain, recouvert, enveloppant, sombre, riche en formes naturelles qui sont autant de composantes supplémentaires à la sacralisation. Mais dans le thème qui nous intéresse, l'espace externe s'ouvre à un symbolisme nouveau tout aussi fascinant, et je dirais, astral.)

    · DU LIMITÉ À L'ILLIMITÉ

Les mouvements du soleil (et le ciel en général) s'inscrivent dans un universalisme fondateur. Ils délimitent les quatre directions essentielles: le sud (propice, devant soi), le nord (néfaste, derrière soi), l'axe "mouvement solaire" d' est en ouest. La disposition des constructions religieuses tels que temples, tombes et autres sites mégalithiques, et la signification symbolique des espaces utilisés ou parcourus, est la répercussion directe de ces pôles universels et solaires. Ces limites spatiales, dès lors qu'elles sont attachées aux mouvements du Soleil (et des astres en général) ont dû fonder l'opposition du bien et du mal, du limité et de l'illimité par le constat immédiat des côtés diurnes et nocturnes, l'opposition de l'est et de l'ouest. Cela a donné un sens au cosmos, à l'environnement divisé entre connu et inconnu.

    · LA REPRÉSENTATION

Forme artificielle, sélectionnée dans la nature, reproduite et saisie, l'image (picturale, gravée ou sculptée etc..) devint ensuite une création en soi venant s'ajouter à l'espace. Plus que d'image, il faut parler de témoin matériel de l'expression religieuse, voire de vecteurs pour communiquer avec un autre monde (pour passer de l'autre côté, ou pour communiquer dans un sens ou dans l'autre: profiter des ondes venues de l'autre côté ou envoyer des messages), ces objets aujourd'hui muets que sont les mégalithes sont bien davantage que des vestiges architecturaux (religieux ou autres), ce sont des objets porteurs de forces spirituelles au même titre que les fétiches d'aujourd'hui. Plus que leur nature, leur situation ou leur disposition, ils avaient une fonction bien définie.

    · UN RÔLE SOCIAL

Au cours du néolithique moyen occidental (4è millénaire), d'immenses enceintes et de nombreuses installations découvertes par les archéologues prouvent l'intensité démographique, mais aussi l'implantation locale des populations jusque là souvent migrantes.

Près des enceintes, on trouve une forte concentration de sépultures collectives et monumentales, d'abord de terre et de bois, puis sous des dolmens, vestiges des monuments qui formaient jadis des tertres. Expression de solidarité, cette forme de sépulture parvenue jusqu'à nous avec ses mystères et ses mythes montre aussi une organisation religieuse très forte, réellement structurée. En plus de ces sépultures monumentales, cette époque est aussi celle de vastes réseaux d'échanges, d'exploitation minière de grande ampleur, de systèmes économiques, techniques et sociaux importants bien que naissants. Cette cohérence et ce développement social vont de pair avec le système religieux . Peu de traces exploitables sont parvenues jusqu'à nous, et les archéologues doivent déduire les phénomènes de minuscules fragments, ou de pierres levées, dressées sur leur mystère. Les dolmens sont des sépultures, comme les orthostates (pierres verticales) ou les petits "autels" plats supportés par quatre pieds en sont d'autres, mais il reste tant d'autres formes mégalithiques qui continuent de se taire et de laisser les théories s'échafauder, et souvent, s'écrouler au fil des années...

Ces éléments de structure sociale montrent que peu de troubles venaient perturber cette période du néolithique, notamment en matière religieuse qui, par les traces qu'elle laisse, démontre une certain stabilité, et, peut-être, une immuabilité symbolisée par la permanence de la pierre mégalithique. Une sorte de puissance institutionnelle fortement installée dans les différentes sphères d'une société forte et stable qui a surmonté le choc de la période précédente: la confrontation des autochtones et des populations migrantes arrivées ici en masses déferlantes, et depuis assimilées. On peut imaginer que cela donnait des sociétés (peuples ?) fortifiées par un apaisement provisoire des angoisses collectives (avenir incertain, inconnu, guerres, bouleversements de toutes sortes), et galvanisées par l'omniprésence des mégalithes, de l'Au-Delà...

    · DES PORTES

Je l'ai suggéré plus haut: la pierre, surtout si elle a des proportions imposantes, surhumaines, est immuable, inscrite dans le temps et dans l'espace (suivant des critères primordiaux). Le mégalithe est une porte, un seuil, un garant. C'est aussi l' élément symbolique essentiel d'une religion dont nous ignorons à peu près tout mais qui devait être tellement intégrée aux pratiques quotidiennes que son sens s'est en quelque sorte lissé dans les traces archéologiques laissées par ces populations du néolithiques moyen, ce qui laisse libre cours aux interprétations les plus fantaisistes.

    · LÀ Où LA TERRE S'ACHÈVE

La période qui nous intéresse le plus est le néolithique récent. Elle est marquée par de grands bouleversements liés à la fin de l'expansion géographique. C'est la fin d'une ère, et les spécialistes de la période la décrivent en parlant de "phénomène de flottement, de troubles de mutations". On remarque effectivement que les traces archéologiques et mégalithiques se densifient tout le long de la façade atlantique de l'Europe.

C'est là que la terre s'achève, pour laisser les brumes et les furies de la mer prendre le relais. La démographie continue de croître, ce qui a justifié ce regain de migrations, mais cette fois, elle se concentre le long des côtes: on peut parler d'agglomérations, d'agglutinement au bord de ce qui est pour l'instant inaccessible et inconnu.

Ces civilisations de la façade Atlantique sont prospères, mais elles seront éphémères. Portugal, Bretagne, Angleterre et Irlande fourmillent de mégalithes dont le nombre sur un même site (et parfois les proportions) dépassent tout ce qui s'est fait jusqu'alors. Ces mégalithes semblent avoir atteint un sommet dans leur fonction (et conception) astronomique. Ils ne sont plus seulement des stèles funéraires ou des autels rituels. On a l'impression que ces prestigieux témoignages aux cieux d'un peuple en pleine expansion mais arrêté par l'espace, furent le seul recours qu'il ait eu pour affronter cet obstacle, cette apparente certitude de "fin".

    · LE DESTIN DES HOMMES

On constate l'émergence de gigantesques constructions circulaires ou en alignement conformes aux points cruciaux et aux déplacements des astres, constitués de pierres dressées, la plupart du temps de très haute taille (menhirs). On pense que ces monuments mégalithiques devaient être utilisés pour le calcul de saisons sans doute pour déterminer les phases critiques de l'agriculture naissante et des cérémonies rituelles qui devaient l'accompagner. On parle aussi du renouveau des astres (symbole de l'abondance et de la fécondité, bref, de la Vie).

Les saisons, le ciel, les astres, la nuit et le jour renaissant: de tout cela dépend le destin des hommes, c'est donc vers eux que devaient se tourner les cultes, et bien vite, les motifs ornementaux et autre subtilités architecturales: cercles concentriques de Stonhenge aux orientations solaires et lunaires par exemple, ou encore les spirales et les rayons gravés sur la dalle de fermeture de l'immense tumulus de New Grange (Irlande) dont la lucarne qui surmonte l'entrée permet de façon incroyablement précise d'éclairer le fond du monument par les rayons du soleil aux changements de saison.

    · DE L'ANTHROPOMORPHISME À L'ABSTRACTION ET AU MYTHE

Tout le long de la façade atlantique (du Portugal à l'Irlande) se retrouve cette obsession céleste par d'innombrables alignements de pierres dressées et méthodiquement assemblées. Levers, solstices, phases lunaires, calcul des saisons et réjouissances leur correspondant semblent autant d'éléments communs à des populations réparties sur toute l'Europe, principalement sur la frange occidentale. Dans les colossales sépultures du Portugal et du sud de l'Espagne on a retrouvé des statuettes plates en schiste, parfois cylindriques en calcaire ou en os, sur lesquelles se retrouvaient des motifs géométriques et de larges ocelles jumelées rappelant l'importance du regard déjà révélé par les gravures trouvées dans la période précédente sur les orthostates. Or, la vision nous ramène à l'importance de la compréhension dans la religion néolithique. Ces motifs géométriques se font de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu'on avance dans la période: cercles, rais, croissants, puis anneaux s'accumulent, qui paraissent évoquer les astres mais aussi une approche différente de la religion: de l'anthropomorphisme à l'abstraction.

Ce qui rend la compréhension des traces laissées plus difficile à appréhender pour les chercheurs.

La fin du néolithique voit de nouvelles périodes de troubles, sans doute dues à la trop forte concentration démographique le long des côtes. On constate parallèlement (mais cela reste lié) l'émergence de sépultures plus vastes et "riches", de type "princières", qui suggère de plus fortes différences de statut social au sein de la collectivité, et ce par delà la mort. La maîtrise des premiers métaux précipite l'issue de ces bouleversements, constituant des armes, mais aussi des objets de grande valeur, signes de puissance et de richesse pour ceux qui les détiennent. Au bout du compte, les société mégalithiques s'en trouvent vraiment transformées, et leurs fondements religieux mis à mal: avec la constitution d'un nouveau type social émerge les premières mythologies protohistoriques où les dieux se mettent à assumer des fonctions "humaines" et où forgerons, souverains ou guerriers deviennent des membres déterminants à l'aube de la période suivante: l'Histoire. Les mégalithes, eux, subsistent, mais leur usage (leur sens), s'il se perpétue un temps, finit par être détourné, ou par se perdre.

Entre les deux périodes, on constate en effet de fortes analogies formelles. La "récupération" de faits historiques par des explications surnaturelles contribue à alimenter le nouveau fond religieux (mythologique). De même, les nouveaux dieux s'accaparent sites et sens anciens pour les assimiler à des conceptions nouvelles. Les images religieuses, les monuments dont la mémoire a perdu le sens, le rôle, l'origine, sont également absorbés ou condamnés à l'oubli, voire à la destruction s'ils ne se plient pas à une sorte "d'analogie contextuelle".


-I-

LES CHAMBRES DOLMENIQUES EN EUROPE DE L'OUEST

"On voit apparaître, il y a des dizaines de milliers d'années, ce culte aux ancêtres qui est probablement une des premières manifestations de la sacralité. On se dit: ces gens sont morts, mais ils sont quelque part. Il faut respecter leurs restes."

Hubert REEVES

L'époque du Peuple des Mégalithes remonte à 5000 avant JC. C'est le néolithique. 35 000 ans séparent ces gens de ceux qui vivaient dans les grottes (paléolithique supérieur) , et 7000 ans nous séparent d'eux et de leurs mystérieux alignements de pierres levées.

    · variantes

    · l'exemple du cairn de Gavrinis

    · fonctions rituelles

 

les dolmens de la façade atlantique

"A la fin de l'âge du bronze, l'Europe occidentale et septentrionale, surtout sur la façade atlantique, voit surgir du sol une "végétation" minérale géante et multiple. Un peu partout, on dresse des pierres vers le ciel. Dans quel but ? le défier ? à quoi cela sert-il s'il est vide ? l'appeler à l'aide , lui rendre hommage ? intercéder pour obtenir protection ? pour l'adorer ?"

Marcel JULLIAN

Il y a autant de variantes que de lieux, en matière de dolmens. Elles tiennent autant de l'évolution dans le temps des conceptions, que des coutumes locales et des matériaux mis à la disposition des bâtisseurs par la région concernée. La nature du sol elle-même entre en considération. Le dolmen de Villeneuve-Minervois, dans l'Aude (France) a été érigé sur une colline abrupte au milieu des rocailles de la garrigue, alors qu'on trouve certains dolmens à demi enterrés (la table étant à peu près au même niveau que le terrain environnant) comme celui de Runesto (Carnac, Morbihan) ou Buzeins (Aveyron), comme si ses constructeurs avaient dû faire un compromis entre l'hypogée et l'hypergée.

La forme du cairn en lui-même varie, ronde ou longue. Parfois, elle n'est plus discernable, à cause de arasements et des destructions successives. De fait, si culturellement nous avons pris l'habitude de parler distinctement de dolmen et de cairn, comme s'il s'agissait de deux monuments différents, il faut garder en mémoire ou se contraindre à l'admettre, que le dolmen était toujours enterré, faisant partie intégrante du cairn. Le temps et l'histoire ont fait disparaître certaines parties des cairns, laissant le dolmen à l'air libre, nu, mais ce n'était pas sa forme originelle.

Les variantes sont aussi visibles dans la conception architecturale de fond du cairn. Il y en a avec ou sans allée couverte, sans couloir, ou avec dolmen à double muraille qui ont en général une chambre principale ou une galerie munie d'un petit portique à l'ouest, et une autre chambre, plus petite, fermée à l'est. Ce type de cairn est plus large et plus haut du côté ouest, avec des murs de soutènements doublés, comme l'un des cairns de l'ensemble mégalithique de Chanac, en Lozère (sud de la France). On en trouve beaucoup en Irlande, comme celui d'Islande (comté de Cork). Dans tous les cas, ce type de cairn avait une table dolmènique colossale, ce qui justifie peut-être le double soutènement. De toute façon, on ne peut sérieusement établir une interprétation en ne gardant que les arguments physiques évidents et en mettant de côté des éléments symboliques qui nous échappent.

Ainsi, on a constaté que certains dolmens voyaient leur entrée fermée par une dalle perforée artificiellement. Il y a des dalles perforées de ce type en Palestine et en Crimée, ainsi que sur les côtes ouest de l'Inde où près de 1000 dolmens ont été découverts, et possèdent cette particularité de la porte trouée.

L'exemple du dolmen à couloir de Larmor-Baden dans le Morbihan, ou "Cairn de Gavrinis", montre l'une des plus belles constructions dolmèniques d'Europe, voire du monde.

Il se trouve sur une petite île, en face de laquelle se trouve l'îlot Er Lannic où deux cromlechs subsistent encore, bien que l'un d'eux soit submergé. Gavrinis semble être le tertre le plus élevé d'un ensemble plus vaste, dominant la Petite Mer (Morbihan) de la Grande Mer (Mor Braz), et devant se voir de loin à l'époque où les lieux n'étaient qu'un marécage parsemé d'îles. Par ailleurs, il se situe au centre d'un immense réseau mégalithique couvrant la région de Carnac, Locmariaquer et Arzon ce qui fait de lui l'un des sites religieux importants du néolithique.

Le Cairn de Gavrinis mesure 100 mètres de circonférence, et 8 mètres de haut. Son couloir court sur 14 mètres, s'ouvrant au sud-est et débouchant dans une chambre carrée de 2 mères 50 de côté. Pour pénétrer dans cette chambre sépulcrale qui est à peine plus large que le couloir d'accès, il faut passer une sorte de seuil symbolisé par une dalle. Il n'y a aucune voûte en encorbellement, et chaque dalle est soigneusement juxtaposée. La chambre comporte 9 blocs énormes servant de support à la dalle dolmènique qui ne fait rien de moins que 4 mètres sur 3.

Des cavités ont été creusées dans la paroi de l'un des supports du dolmen, antérieures à l'érection du mégalithe, et une légende rapporte que des prisonniers y étaient attachés.

La chambre dolmènique est décorée de façon saisissante et assez exceptionnelle. Les parois sont profondément gravées, et cette richesse d'ornementation symbolique se prolonge jusque dans le couloir. J. Markale émet l'hypothèse que cette chambre ait pu servir à autre chose qu'à un rite funéraire, et que des cérémonies initiatiques sont liées à ces gravures pariétales: "Il est difficile d'admettre que cette ornementation n'était que funéraire, ou alors il faut songer que toute initiation passe par une mort rituelle et symbolique avant de déboucher sur une renaissance tout aussi symbolique et intérieure; le passage sous le bandeau et "dans la tombe" des rituels maçonniques sont significatifs de ce genre de choses, et il est impossible de ne pas imaginer que dans cette chambre de Gavrinis ont eu lieu, à des époques différentes, des cérémonies d'initiation à quelque sagesse inconnue. Le lieu semble s'y prêter, et les gravures paraissent le confirmer. (...) Il y a ainsi , à l'intérieur du cairn, à peu près 60 m2 d'un décor absolument unique en son genre."

Ces ornementations diffèrent sensiblement de celles que l'on peut trouver en Irlande: à Gavrinis, il n'y a ni triskell, ni spirale. Elles semblent typiquement armoricaines, effectuées selon un procédé de piquetage parfois très léger sur des surfaces préalablement dégrossies. Il y a des sortes d'écussons représentant la Grande déesse, et d'innombrables signes en U, des signes serpentiformes, des cercles et demi-cercles concentriques ou allant en ondulant.

Ses dimensions sont assez impressionnantes, bien que difficilement comparables à des sites tels que New Grange. L'ensemble a été restauré de façon à ce que l'extérieur du cairn restitue ce que les chercheurs pensent avoir été son aspect primitif, sur le sommet d'une butte. Visible de très loin.

La plupart des dolmens dits "simples" qui se trouvent en Europe sont les vestiges de monuments plus importants qui n'ont pas résisté au temps et à l'Histoire. Comme tous les mégalithes de type dolmèniques, ils étaient à l'origine enfouis sous un tertre funéraire, constituant une sorte de portique sacré.

Toutefois, ceux que l'on trouve le plus souvent dans la partie continentale (par opposition aux îles britanniques) sont de constitution plus simple et nettement plus petite que leurs homologues, ne formant qu'une chambre sas couloir d'accès. La table de pierre sert de porte, et le tout est recouvert de terre, ce qui constitue le cairn, pouvant lui-même avoir des proportions variées. La plupart du temps, les dolmens de ce type étaient constitués d'une dalle de couverture assez grande de trois supports, mais il pouvait y en avoir davantage. On les trouve en grande quantité au sud du Massif Central.

La petite taille des tables dolmèniques de l'Europe continentale vient vraisemblablement du fait que les cairns auxquels elles étaient destinées ont été dressés à la fin du Néolithique, sans doute aux débuts de l'ère du métal. Or, il semble qu'à partir de l'âge du cuivre les gens n'aient plus bâti de vaste monuments de pierre, se contentant de petites chambres dolmèniques sans couloir d'accès. C'était déjà la fin de l'ère mégalithique, qui se concrétisa entre -2000 et -1800, à l'âge du bronze. A cette époque, on se contentait d'un sépulcre de pierre sous un petit tertre.

Les chambres dolmèniques étaient des sanctuaires rituels dont la fonction première semble avoir été funéraire. Bien que certains cairns fouillés n'aient révélé aucune trace de sépulture, les chercheurs pensent que l'acidité des sols granitiques et la double pratique funéraire reconnue pour le néolithique (inhumation - crémation) peut l'expliquer, et que la fonction sépulcrale des cairns reste une évidence. Lorsque les corps étaient inhumés, un rituel précis semble avoir existé quant à la position du corps. Par exemple, dans le cairn de Collorgues (Gard, France), une quinzaine de dépouilles avaient été disposés en rayon solaire. Dans certains cairns, les corps avaient subi des mutilations (perforations crâniennes) suggérant des cérémonies précédant l'inhumation. Certains estiment qu'il y aurait un rapport entre le phénomène des portes trouées et celui de la perforation du crâne des défunts après leur décès. On imagine que ce serait pour permettre à l'âme de quitter le corps et le tombeau pour accéder à l'autre monde. D'autres pensent que c'était pour passer de la nourriture au défunt. Quoi qu'il en soit, on ne saura jamais exactement à quoi cela pouvait correspondre, et tout, pour l'heure, n'est que pure conjecture en ce qui concerne les mégalithes.

Voici ce qu'en dit Marcel Jullian, lorsqu'il est allé voir le site de Filitosa, en Corse du sud:

"D'où vient ce bouleversement , cette sorte de fièvre communicative qui, après le Vè millénaire avant notre ère, semble avoir touché une grande partie des vivants ? les morts y participent à leur insu. "Bien qu'il demeure des points obscurs quant à leur signification, écrivent Jean-Dominique Cesari et Lucien Acquaviva, on ne peut s'empêcher de penser que les statues-menhirs sont liées étroitement à l'idée de la mort. Les premiers menhirs-stèles du IIIè millénaire étaient associés à des coffres mégalithiques, les suivants à des dolmens."

Souvent, l'artiste s'est appliqué à représenter, plus ou moins symboliquement, le mort qu'on mettait en terre. C'était pour les funérailles de personnages marquants de la tribu. (...) On ne peut pas ne pas songer, à ce stade de l'interprétation des mégalithes, à la comparaison entre la rigidité du cadavre et celle de la pierre levée. Entre les deux, les similitudes sont nombreuses et évidentes: l'immobilité, le silence, la non-communication avec les vivants. Les statues de Filitosa ont taille d'homme, contour rudimentaire d'homme. Elles prennent sa place. Elles lui confèrent une éternité minérale."


-II-

L'ÉNERGIE QUI FAIT VIBRER LA NATURE

(L'OND - L'AXIS MUNDIS - LES VERTUS DES PIERRES LEVEES)

    · L'OND:

Le langage des pierres - ou l'intérêt immémorial des peuples pour certains lieux - peut s'interpréter en fonction du conglomérat de forces, d'énergies qui en émanent.

Ce phénomène se cache sous bien des noms dans la plupart des cultures. Ainsi, nous connaissons le "prana" hindou, le "pneuma" de la Grèce antique ou encore le "qi" de la géomancie chinoise, qui n'en sont que des interprétations, tout comme le sont "l'agent formateur universel" des alchimistes, "le magnétisme animal" de Mesmer, le "vril" de la Théosophie, "l'orgone" de W. Reich ou encore "l'odyle" (ou force odylique) de Recheinbach. On parle plus généralement de tellurisme et de géomancie.

Dans la tradition nordique, ce phénomène porte le nom de OND. C'est celui que je choisis d'utiliser dans cet article, car c'est dans cette tradition que s'inscrivent les constructions mégalithiques qui me serviront d'exemples.

Dans ce cadre, il n'y a aucune différence entre le sacré et le profane. Le monde dans lequel nous (nos ancêtres) vivons, les êtres qui l'habitent avec nous ainsi que nous-mêmes sont considérés comme un élément du tout, du sacré. De la déesse-mère. De la terre.

Chaque chose, vivante ou "inanimée", est un élément du tout universel, possédant une part du pouvoir divin créateur à partir duquel elle a été engendrée et vers lequel elle retournera un jour. La terre elle-même entre dans ce système. Le Tout peut se définir comme un continuum matière-espace-temps de l'univers, lui-même entrant dans un complexe de type "multivers": tout est un cycle, sans début, et sans fin.

L' Ond est une essence active et naturelle qui traduit cela, appartenant à la fois à une réalité matérielle et à des phénomènes "magiques", spirituels. Ce flux d'énergie émane de la terre, de ce qui la compose, des êtres qui la peuplent. Il se manifeste à des degrés divers, et ne se perçoit que dans certaines circonstances (lieu sacré ou sacralisé, rites, période de l'année (astronomie, saisons, équinoxes...)). Cette énergie est reconnue par certains scientifiques qui, sans parvenir à l'expliquer totalement, l'étudient au cas par cas ce qui ne manque pas d'en altérer l'interprétation: Ce n'est pas simplement un agent servant au transfert d'énergie par des moyens chimiques, magnétiques ou électriques, d'autres paramètres "quantifiables" doivent être pris en compte, comme la géométrie, ou les feux qui animent toute chose et tout processus matériel. D'autres, encore, restent plus "ésotériques" et tendent à avoir été oubliés au fil des millénaires sans que les croyances en soient toutefois totalement effacées...

Cette énergie, l'OND, vient du ciel et, attirée par les points élevés, s'écoule vers la terre comme le fait l'eau, l'air, ou la foudre. Le paysage en détermine la direction, la densité du flux ou même la forme. Certains lieux sont réputés propices à sa concentration, et ce sont généralement eux qui ont vu depuis les plus lointaines origines de l'éveil spirituel humain l'établissement des sites "sacrés". Légendes et traditions mythologiques se font les échos de ces anciennes perceptions, et rapportent des phénomènes tels qu'apparitions d'Esprits (de la Terre, comme les landvoettir ("êtres des lieux"), les esprits tutélaires (ou "yarthkins") ayant des effets bénéfiques ou nuisibles sur les activités humaines. Je citerai aussi en guise d'exemple les phénomènes des éclairs et des feux de Saint-Elme, qui illustrent le principe des manifestations externes de ces flux énergétiques et leur interprétation légendaire, voire superstitieuse.

Cette énergie est également présente dans les êtres vivants eux-mêmes, surtout lorsqu'ils sont en harmonie avec l'environnement, et plus réceptifs. Magiciens, géomanciens, druides, chamanes, praticiens des arts méditatifs, guérisseurs ou "illuminés" savent l'utiliser, ont conscience d'elle. La connaissance des procédures rituelles (gestes, paroles, postures) transmise généralement de bouche à oreille, d'initié à initié, permet de concentrer et de diriger l'Ond. De faire communier cette énergie terrestre, celle des éléments (comme les pierres qui semblent être d'excellents conducteurs) et celle qui est présente dans l'organisme humain, pour passer en quelque sorte d'un monde matériel à un (ou des) monde(s) spirituel(s). íVoir "axis mundis"ý

Dans la tradition nordique, il existe une forme personnifiée de l'Ond, la Hamingja, qui est cette énergie contrôlée par l'homme, permettant des métamorphoses ou le développement de dons, de pouvoirs magiques à l'officiant. Elle apparaît le plus souvent dans les légendes sous l'aspect d'un esprit-gardien attribué au lieu-dit. Elle se manifeste sous la forme d'un halo lumineux qui entoure le corps, ou d'une poussière ardente jaillissant de la paume des mains. Certains travaux effectués en Chine sur les arts martiaux expliquent qu'on a mesuré en 1978 une radiation de type infrarouge dans la paume d'un maître qigong émettant le qi, et qu'en 1979, on a démontré que le qi émis du bout des doigts par un autre qigong était en fait un courant de fines particules à charge électrique. Au XVIIIè siècle, Mesmer s'est vu expliquer par l'un de ses patients qu'une poussière ardente émanait de ses mains quand il opérait ses passes magnétiques. De tels phénomènes sont récurrents dans les traditions populaires et religieuses, et la plupart des saints en furent l'objets (halo autour de la tête) à l'instar des divinités païennes.

Pour en revenir aux mégalithes, on voit bien que le choix de leur localisation ne fut dans doute pas due au hasard, et que leur utilisation, fortement liée à un symbolisme que nous tenterons d'étudier plus loin, était aussi liée aux pouvoirs attribué au site lui-même. Ces émissions d'énergie ont été mises en évidence dans un cercle de pierres en Angleterre, par des chercheurs du groupe d'étude appelé "Mystères de la terre" ou "The Dragon Project".

     

    · L'AXIS MUNDIS

Que ce soit l'arbre scandinave Yggrasill, ou le système des mondes spirituels des bardes celtes, l'axe cosmique (ou axis mundis) décrit le monde, et même le fonde, le définissant en quatre cercles d'existences, quatre dimensions reliées entre elles par cet axe vertical. Rapporté par le barde celte Llewellyn Sion of Glamorgan( 1560-1616) il peut se résumer ainsi:

 

CEUGANT

non accessible aux humains et aux esprits. Seuls les dieux y ont accès

demeure du créateur transcendant Hên Ddihenydd, le Père de Tout

(chez les scandinaves: Alfaddyr, Odin, ou Wodan

Porte le nombre symbolique 81, carré parfait

C'est là que se trouve le trône d'Odin, Hlikjálf

GWYNVYD

accessible aux Saints et aux demi-dieux, ainsi qu'aux personnes ayant transcendé leur cycle de réincarnation

Le Pays Blanc

royaume de la félicité

demeure des illuminés

chez les scandinaves: Asgard, la demeure des dieux et des âmes, lieu de lumière et de connaissance. Chiffre symbolique : 9

ABRED

(ou ADFANT)

le plan terrestre

"le lieu aux bords retournés"

Terre Plate

chez les scandinaves: Midgard, la Terre du Milieu, le monde de la matière

Nombre symbolique: 27

ANNWN

l'abysse, l'enfer

Monde de la Repurification

Abysse, peuplé d'âmes et d'esprits mauvais

Monde Inférieur

"le pays sans amour", "le pays invisible"

lieu des âmes et de la matière non manifestées et informées"

 

La conception spirituelle du (des) monde(s) autour de cet axe vertical permet de visualiser les interactions supposées entre les différents plans et les voies (symboliques) des flux énergétiques passant de l'un à l'autre grâce à la méditation, le rituel, l'harmonie et la compréhension de l'Ond, par le biais des "portes" que sont les mégalithes.

Par ailleurs, on pense que certains édifices mégalithiques et/ou labyrinthiques peuvent avoir été conçus pour reproduire certains de ces plans, notamment celui de l'abysse d'ailleurs très présent dans les diverses mythologies. Que ce soit sous la forme des sagas, des Eddas, des contes populaires qui bien que "christianisés" ont gardé quelques constantes, les traditions nordiques faisant référence à cela sont parvenues jusqu'à nous par bribes.

Nous savons par exemple que pour ce qui est du nord de l'Europe, l'utilisation des sites pour bénéficier ou utiliser l'énergie qui y était concentrée, passait nécéssairement par la pratique de la méditation, ou UTISETA ("siéger dehors"). Cela supposait un cérémonial souvent solitaire sous les étoiles, assis ou debout, dans une posture dite magique, identifiable sur certaines figurines danoises et rappelant les pratiques bouddhistes. Il fallait en outre se trouver dans des lieux adaptés, isolés et énergiquement puissants: les "anciens" sites sacrés du néolithique, à forte qualité numineuse et géomantique, furent pratiquement tous récupérés par les celtes.

L'idéal résidait par conséquent dans les points élevés, déjà occupés par des rémanences néolithiques, des tertres funéraires, des montagnes sacrées (tumulus) ou des cercles mégalithiques.

Suivait un rituel incantatoire (fondé sur les runes pour le nord, et "mantra" pour l'Inde). Un voyage mental pouvait alors avoir lieu, voyage intérieur ou véritable pèlerinage "physique bien que mental" dans un endroit possédant un pouvoir mantique (cf. Axe) important. Ce dernier avait une réalité propre, impliquant une progression le long de sentiers bien définis, de pistes sacrées menant à un lieu tout aussi sacré, le long de l'axe. Cela reste un voyage à travers des paysages intérieurs duquel l'officiant devait retirer un savoir "divin" et, en tout cas, revitalisant.

La plupart des "sorciers" pratiquant cette UTISETA utilisaient donc ces sites, tertres de maisons de terre combinés et accaparés pour leur usage transcendantal. Certains de ces édifices se doublaient de souterrains sous les tumuli. D'ailleurs, de nombreux textes attestent de l'utilisation des plates-formes des tertres (tables dolmèniques) par les völva (prophétesses) norroises jusqu'au XIIè siècle en Norvège (et XVIIè siècle en Hollande !). Ces loges chamaniques ont suivi le modèle des anciens cairns à chambre ou tombes à couloirs qui s'imprégnaient d'observations solaires et de rites sacrés perdus dans le temps, comme c'est le cas en Irlande pour Newgrange.

     

    · VERTUS DES PIERRES LEVÉES:

Comme nous venons de le voir, les mégalithes peuvent se concevoir comme des vecteurs de l'Ond. Ils bénéficient et catalysent cette énergie profonde, faite de mystères, de phénomènes telluriques et géomantiques, et semblent la retransmettre sous la forme de dons guérisseurs, si l'on se réfère aux traditions qui les entourent, et à la toponymie. A l'instar de leurs petites soeurs utilisées comme amulettes ou comme ingrédient (cf. les lapidaires et autres manuels traitant des pouvoirs des pierres précieuses), des vertus curatives leur sont effectivement souvent attribuées (aux pierres levées ou aux sites sur lesquels elles se dressent) à travers les superstitions et les légendes, la tradition orale. Ainsi, nous pouvons évoquer le cas du dolmen d'Ymere (Seine-Maritime) sous lequel les gens souffrant des reins ont coutume de se glisser pour obtenir sinon la guérison du moins le soulagement de leurs maux.

De la même façon, la toponymie est riche d'enseignement dans un domaine où l'écrit est absent, quant au rapport étroit existant entre ces pierres et la maladie, voire la mort. Par exemple, j'évoquerais le menhir "la Croix des Morts" à St-André de Charançon (Haute Loire), ou le dolmen "le Cros des Mourgues" à St-Germain Laprade (Hte Loire). On trouve aussi un dolmen appelé "Puech Mort", ou "Homme Mort" dans l'Aveyron, dont le nom ne fait que souligner le caractère funéraire des dolmens.

Je note toutefois une évidence qu'il ne faut pas perdre de vue: il s'est écoulé bien des millénaires depuis la construction des premiers mégalithes, et leurs noms d'origine ont depuis longtemps été oubliés et remplacés par un héritage grec et/ou latin, christianisé, ou adapté à des légendes "événementielles" locales. L'origine préceltique reste néanmoins sous-jacente dans de nombreux cas, notamment lorsqu'il est question de pierre, table, tuile, creux, vieille, puy, ker ou cayre. Ainsi, je citerais la Pierre des Fièvres, au Puy, et la Pierre des Fébricants, en Bretagne.

Par exemple, les toponymes comportant le terme "pierre": on a une racine archaïque basée sur les sons [KR], [KL] ou [WI]. Ainsi, le "Chaillou magnen" à Imphy (Nièvre).

Les sonorités [KR], [KL] ou [WI] sont très anciennes et pourraient avoir appartenu à une langue "sacrée" de l'âge du fer. La plupart des toponymes actuels ne remontent pas au delà de l'âge du bronze, ce qui présuppose que les Indo-européens en Inde, Grèce et Europe occidentale aurait détruit les cultures autochtones qui ont érigé les mégalithes les plus anciens. Cette lutte terrible entre les peuples bâtisseurs de mégalithes et les Indo-européens se retrouve dans les principaux mythes guerriers : dieux contre titans (Grèce); Rama contre Ravana (Inde); Fomoiré contre Thuátha (celtes).

Mais les évocations, les références 'revigorantes" liées à la pierre levée, soulignent une constante pré-indoeuropéenne, celle de la déesse-mère. Cela se traduit dans la toponymie -même altérée- en relation avec la demeure, la Vie et la Mort, la maladie, et la pierre elle-même. La pierre est la mère, le noyau originel, la Terre.

 

 

-III-

QUAND LES VIEILLES PIERRES NOUS PARLENT D'ARTHUR...

"Il arriva qu'un jour, Merlin voulut lui montrer, dans un rocher, un grand prodige que la magie avait réalisé et qui se trouvait sous une grosse pierre. En entreprenant Merlin avec beaucoup d'adresse, elle obtint de lui qu'il descendît sous cette pierre pour lui faire voir les prodiges qui s'y trouvaient, mais elle savait comment s'y prendre pour qu'il ne puisse plus jamais en sortir, malgré toute sa science magique. C'est ainsi qu'elle partit en abandonnant Merlin derrière elle"

(...) "Alors, elle pénétra dans une vallée où se dressaient de nombreuses et grandes pierres et lorsqu'elle comprit qu'elle allait être rejointe, elle se transforma par magie, avec sa suite et leurs chevaux, en un grand bloc de marbre"

(...) "Ils poursuivirent leur route et arrivèrent dans une profonde vallée couverte de pierres où ils virent un joli ruisseau qui, en amont, surgissait d'une belle fontaine"

Bien des textes arthuriens nous rapportent des liens entre les pierres et la légende. Le plus célèbre étant sans doute le rocher dans lequel était fichée Excalibur !

Il existe dans les Cornouailles et au Pays de Galles, berceaux "historique" du mythe, de très nombreux sites mégalithiques. L'un d'eux se situe dans les "moors": deux grands édifices de pierres se dressant dans la brume, et que la mémoire populaire nomme "Arthur's Bed" et "Arthur's hall". Le premier est un monolithe de granit et le second, un grand bâtiment carré taillé dans le même granit mais dont on ignore la destination première. Il est vrai qu'à la charnière du huitième et du septième siècle avant JC, les peuplades Celtes qui s'étaient élancées vers l'Ouest depuis leurs terres d'origine (entre le cours supérieur du Danube et du Rhin) dès le 2ème millénaire avant notre ère, se sont complètement intégrées à la population des îles de Grande-Bretagne. De véritables petites principautés se sont instaurées, à la tête desquelles des rois-guerriers règnaient. On pense qu'à un moment donné, ces seigneuries se sont regroupées sous le commandement "policier" d'un roi qu'ils chargèrent d'assurer l'ordre et la sécurité générale. Une armée aurait été recrutée parmi l'aristocratie, institution de laquelle serait née la légende du roi Arthur et de ses Chevaliers de la Table Ronde, à partir de l'histoire du plus fameux de ces rois, Artorius, et de ses hauts faits contre l'envahisseur romain. Les bardes chantaient leurs exploits, et de bouche à oreille l'histoire devenint légende.

Ces Celtes étaient avant tout des agriculteurs, et ils pratiquaient l'élevage, principalement des chevaux. Ils s'installaient sur des sites naturellement stratégiques, et leurs "forteresses" (les hill-forts) se dressaient à flanc de coteaux ou au sommet des hauteurs. Souvent, les lieux ainsi choisis bénéficiaient des faveurs du paysage (relief, eau, forêt, fertilité) et avaient déjà été de longue date des sites privilégiés par les populations. C'est pourquoi par delà le temps, et les civilisations, les mêmes sites se retrouvent et sont "récupérés". Il en va ainsi des édifices mégalithiques et de leur récupération par l'imaginaire celtique.

Toutefois, on ne peut pas dire que seul l'imagination, le goût des légendes et des mythes ait transporté l'esprit celte sur les pierres dressées du néolithique. Jules César explique lui-même que ces populations, constituées en castes distinctes (druides, equites (hommes de guerre) et plebs (peuple ordinaire)) détenaient un grand savoir scientifique. Cette science était le propre de la caste des druides, et une grande partie de ces connaissances découlait d'une lointaine tradition culturelle indo-européenne transmise exclusivement par oral, utilisa (ou même adapta) les cercles mégalithiques. "Ils possèdent une connaissance approfondie des étoiles et de leurs mouvements, des dimensions de l'univers et de la terre, de la philosophie de la nature, des pouvoirs et des sphères d'influence des Dieux immortels", nous dit Jules César.

Rudolf Steigner, qui était très érudit mais se laissait souvent emporter par son intuition sans toujours être capable de faire la différence entre celle-ci (qualifiée par certains de "paranormale mais authentique" et des projections oniriques de son inconscient sans doute alimenté par sa sensibilité extrême et par sa grande érudition, visita les constructions mégalithiques circulaires du Pays de Galles en 1924, avec son secrétaire Gunther Wachsmuth. Quarante ans avant que le professeur Gerald Hawkins n'émette publiquement et pour la première fois cette fameuse théorie, bien des fois reprise par la suite, Steigner eut la vision du rôle astronomique du site. Il expliqua en détail l'utilisation des collines et des vallées environnantes par les prêtres pour calculer avec cette "machine à calculer astronomique" les rythmes cosmiques qui détermineraient les dates des grandes cérémonies religieuses de l'année.

Sans revenir sur le détail des légendes arthuriennes (et de leurs innombrables versions), citons quelques uns des lieux qui semblent être liés au mythe et qui entrent dans notre sujet.

D'abord, le Carn Cabal (au Pays de Galles, à Builth Wells). Il s'agit d'un cairn préhistorique encore visible de nos jours, et dont l'histoire nous est rapportée dans l'une des légendes: Le roi Arthur avait un chien, Cabal. Au cours d'une chasse avec son maître, Cabal laissa une empreinte de patte au sommet de ce cairn. Il faut noter au passage que pour ce cas-ci, la légende ne dit pas que le cairn a été érigé sous le règne d'Arthur (l'Arthur intemporel de la légende) mais atteste de son existence à l'époque arthurienne.

Il en va autrement pour cet autre exemple: le Licat Anir, également situé au Pays de Galles. Ce tumulus est peu visible de nos jours, mais le prêtre gallois Nennius raconte qu'un certain Anir, fils du soldat Arthur (sans doute Artorius), y serait enterré. Anir aurait été tué par son père qui l'aurait lui-même enseveli ici. Le nom d'Anir est inconnu de la légende, mais on sait qu'Arthur aurait eu un fils illégitime, Mordred, et l'aurait tué, à la fin de la légende. Les "Annales Cambriae" (Annales du Pays de Galles) comportent quelques indications de type "historique" sur Arthur:

"518 - bataille de Badon au cours de laquelle Arthur porta , trois jours durant, la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ sur les épaules et où les Bretons remportèrent la victoire".

"539 - bataille de Cammlan au cours de laquelle Arthur et Mordred furent tués; la mort règne sur l'Angleterre et sur l'Irlande".

Il est étrange de constater que dans les annotations historiques rapportées dans ces annales religieuses, le fils d'Arthur (il s'agit ici d'Artorius) est nommé Mordred, ce même Mordred qui apporta tant de mal dans la légende (et dans la réalité historique) et qui périt de la main de son père comme cela est indiqué dans la chronique; Etrange de retrouver la trace dans la légende de ce fils et de ce combat, sous un autre nom (mais il y a tant de versions de la légende), Anir, et de pouvoir contempler sa tombe sur le site mégalithique Licat Anir...

Je citerai ensuite un monument funéraire monolithique qui se trouve à Foway, près de Menabilly, dans les Cornouailles. Cet exemple et les suivants sont particuliers, car contrairement aux précédents, ils datent de l'époque présumée d'Arthur-Artorius. Celui-ci a la forme d'un trapèze, et fait 2 mètres de haut. Il date du VIème siècle de notre ère. Une inscription latine à demi effacée nous indique le nom de la dépouille qui repose (reposait) dans ce tombeau: "Drustanus his iacit Cunomori filius": ci-gît Drustanus, fils de Cunomorus". Or, Cunomorus est la forme latine du breton Cynvawr, et Drustanus celle du mot d'origine picte signifiant Tristan. Le roi Cynvawr, mort vers 500 ap. JC, régnait sur l'ancien royaume de Dumnonia (incluant les Cornouailles et s'étendant jusqu'en Bretagne continentale), et se faisait aussi appeler Marc. Il vivait dans un château à quelques kilomètres de cette tombe monolithique, à Castle Dore. L'un des textes qui nous rapportent la légende de Tristan et Iseult nous vient du trouvère Beroul (XIIè s.), et estime que Tristan n'était pas neveu de Marc, ni son fils, mais son fils adoptif. On suppose que si la légende a fait de Tristan le neveu et non le fils de Marc- Cynvawr comme l'indique l'inscription sur la pierre, c'est pour que l'adultère soit moins condamnable du point de vue moral, ce qui aurait notablement entaché cette merveilleuse histoire d'amour.

 

Geoffroy de Monmouth évoque l'érection d'un mégalithe dans son "Historia Regem Britanniae " déjà évoqué plus haut. Nous avons vu dans l'introduction que dans leurs efforts pour entrer en contact avec l'Autre-Monde, les hommes préhistoriques se sont acharnés à dresser des pierres, mais nous ne savons pas avec certitude les raisons exactes de ces entreprises titanesques, ni leur sens, ni leur usage. Dans un cadre arthurien, il est intéressant d'essayer de comprendre quel sens a pu être plaqué sur ces ouvrages. Voici ce que raconte Monmouth: quelques uns des chefs bretons ayant été attirés dans un piège par les Saxons avec lesquels ils voulaient négocier, leur roi décida d'ériger un monument à leur mémoire. Merlin l'Enchanteur lui conseilla donc de faire déplacer à Amesbury (dans le Wiltshire) une construction très ancienne et célèbre, The Giant's Dance (Irlande), et l'aida grâce à ses pouvoirs magiques: ainsi naquit Stonehenge dans la Salisbury Plain.

Les archéologues ont découvert les traces d'un chemin datant de l'an 1000 av. JC environ, menant du monument à la rivière Avon. Or, il existe un récit grec d'Hécatée de Milet (500 av. JC) repris dans la "Bibliotheca Historica" de Diodore de Sicile (50 av. JC), racontant cette histoire fabuleuse, sans doute parvenue à lui par les marchands d'étain, d'or et d'ambre qui se rendaient régulièrement dans le Wessex préhistorique pour s'approvisionner:

"Il existe dans l'Océan une île située dans la diagonale de la Gaule celtique, aussi grande que la Sicile, et qui s'étend jusqu'à l'extrême Nord. Elle est peuplée par les Hyperboréens, qui tirent leur nom du fait qu'ils habitent par delà le vent du Nord. (...) Sur cette île, dans une clairière au milieu des bois, se dresse un merveilleux temple dédié, lui aussi, à Apollon; il est de forme circulaire et son éclat est rehaussé par des offrandes sacrées. Tout près de là se trouve une petite ville, elle aussi dédiée à ce même dieu et dont la plupart des habitants jouent de la harpe. Dans le temple résonnent sans cesse les cordes de leurs instruments tandis qu'ils entonnent les louanges de la divinité dont les hauts faits sont glorifiés (..) On dit également qu'Apollon visite le pays une fois tous les dix-neuf ans, au moment précis où les étoiles achèvent leur révolution et que, pour cette raison, les Grecs appellent la "grande année". Pendant son séjour sur la grande île, le dieu joue, lui aussi, de la harpe et danse chaque nuit, depuis l'équinoxe vernal jusqu'à l'apparition des Pléiades et se montre particulièrement flatté par la dévotion que lui témoigne la population."

Ce qui est intéressant ici, ce sont les vertus et pouvoirs attribués à la pierre par Merlin.

Ces pouvoirs étaient essentiellement curatifs, en rapport avec le maintien des forces vitales et de la fécondité. En cela, on retrouve quelques uns des éléments des "religions" néolithiques. Les pierres dressées semblent avoir aux yeux de l'Enchanteur une forte influence sur la pérennité de la vie après la mort. Par ailleurs, le rapport astronomique des pierres et de leur disposition, notamment au niveau Solaire, se retrouve comme une constante dans la légende. Non pas entre les hommes et la pierre, mais en quelque sorte comme si certains héros étaient des soleils, comme le temple symbolise la course du soleil. Ainsi, Gauvain, dont les forces déclinent ou renaissent selon la position du soleil dans le ciel. De la même manière, Arthur perd sa vitalité et se désintéresse de tout, au risque de tout perdre, sa femme, sa vie, et tout ce pourquoi il a combattu jusqu'alors, et Genièvre le convainc de se lancer dans une étrange aventure de laquelle il doit ressortir régénéré: il doit pénétrer dans une chapelle (dolmènique ?) enchantée située dans un des nombreux cimetières qui entourent leur demeure. Arthur voit sa gloire chancelante resplendir de nouveau, et puise lui-même de nouvelles forces vitales dans cette aventure au Royaume des Morts.

De prime abord, le fait que d'innombrables sites mégalithiques soient de nos jours encore marqués par les légendes arthuriennes peut apparaître comme un signe de la popularité et du mystère qui entoure les deux éléments. Les gens, qu'ils soient bretons de Bretagne, ou anglais, vivent dès leur plus jeune enfance dans une nature qu'il ne comprennent pas, et dans des légendes qui tendent à donner une image merveilleuse du passé même le plus reculé, des événements les plus horribles, et offrent sur un plateau d'or l'assurance d'un avenir meilleur: le sauveur, qu'il soit le Messie ou qu'il soit l'héroïque et glorieux roi Arthur, reviendra les sauver des méchants (Le Messie devant les sauver d'eux-mêmes, ce qui nous renvoie au Graal.). Bref, il paraît naturel qu'avec le temps, les mystères se soient interpénétrés.

Pourtant, bien que la légende arthurienne tire peut-être ses fondements d'une réalité historique, bénéficiant pour cela ponctuellement d'attestations mégalithiques (!), elle a été écrite et répandue au fil des siècles avec l'agrément des autorités religieuses. Il est évident que le général breton Artorius n'avait rien à voir avec le très christianisé roi Arthur, et la complexe symbolique du fond et de la forme des légendes qui relatent son (ses) histoire(s). Sans doute l'existence et l'obstination des populations à lier ces histoires aux pierres dressées gênèrent-elles l'Eglise, impuissante à briser les restes inconscients des rites et croyances préhistoriques rémanents sur ces sites. De nos jours encore, une aura irréelle, surnaturelle, entoure la plupart de ces lieux, et les plus mystiques aiment encore s'y rendre et bénéficier de leurs vibrations, de ce que ces pierres ont encore à dire.

Sans doute l'Eglise était-elle très loin d'imaginer l'existence (et la persistance ?) des rites préhistoriques qui avaient été pratiqués à Stonehenge et dans les autres temples de ce type, mais elle devait sentir qu'il s'agissait de bien autre chose que de tas de pierres en ruine. Ces temples, ces observatoires mégalithiques avaient été récupérés par les druides celtes pour mettre en oeuvre d'étranges cérémonies dont nous ne savons rien, et qui étaient manifestement le fruit d'un triple savoir se perdant dans la nuit des temps: celui des indo-européens des origines, des connaissances qu'ils avaient accumulées au cours des deux mille ans de trajet du Danube aux Cornouailles, et des traditions mystiques qu'ils avaient assimilées auprès des "indigènes", descendants des bâtisseurs mégalithiques locaux. Quelles figures emblématiques et inquiétantes que ces druides ! comment ne pas croire que Merlin est né d'eux, et non du Diable ?

Arthur va bien au-delà de la Quête du Graal que tous connaissent mais qui n'est que l'un des épisodes innombrables qui constituent sa légende. Etudié dans son ensemble, le mythe arthurien est tout à la fois l'expression conquérante et missionnaire de la Chrétienté, et l'obsédante volonté de la symbolique préhistorique, indo-européenne et celtique de ne pas disparaître. Certains des textes sont affligeants de naïveté, et trop "chevaleresques", d'autres font preuve d'une poésie et d'une symbolique à tiroirs qui fait de cette légende un véritable outil ésotérique. Tous, s'ils sont étudiés avec attention et dans le cadre d'une vue globale (s'il est possible de tous les connaître...) exercent une fascination tout à fait comparable aux interrogations soulevées par les cercles mégalithiques, les pierres dressées apparemment muettes mais qui parlent de rites, et de mythes encrés dans notre inconscient collectif. C'est principalement à ce phénomène que faisait allusion Sir Thomas Malory dans "La Morte d'Arthur" (1460), qui est le dernier élément marquant de la légende du Graal, mais non des moindres. A la fin, il y est dit que sur la tombe du grand roi (il est donc mort) est gravée cette épitaphe qui résume tout:

"Ci-gît Arthur, qui fut roi autrefois et le demeure, à jamais".

A jamais dans nos mémoires, comme à jamais notre mémoire profonde résonne du chant des pierres dressées de nos origines.

BIBLIOGRAPHIE ARTHURIENNE:

Sir Thomas MALORY, Tales of King Arthur, éd. Guild Publishing London (contient de très nombreuses illustrations provenant des manuscrits originaux des principales versions de la légende.)

    · the birth of Arthur

    · Arthus becomes King

    · Excalibur

    · Guenever

    · The death of Merlin

    · Morgan le Fay

    · The expédition to Rome

    · Lancelot

    · Tristram

    · Lancelot and Elaine

    · The Grail

    · Lancelot and Guenever

The Death of Arthur

Jean MARKALE, Lancelot et la chevalerie arthurienne, éd. Imago

Chrétien DE TROYES, Romans de la Table Ronde (XIIè), éd. Folio

    · Erec et Enides

    · Cligès

    · Lancelot, le chevalier à la charrette

    · Yvain, le chevalier au lion

Chrétien DE TROYES, Perceval ou le roman du Graal (XIIè), éd. Folio

    + continuations de Perceval par :

    · d'après le manuscrit de Mons, et d'après Gerbert de Montreuil

Première Continuation de Perceval, d'après l'édition de William Roach (XIIè), éd.Lettres Gothiques, Livre de Poche

Tristan et Iseult (XIIè-XIIIè), le Livre de Poche

Georges DUMEZIL, Mythes et dieux Indo-Européens, Flammarion (Champs l'Essentiel)

Jules CESAR, De Bello Gallico

Rudolf STEIGNER (& Gunther Wachsmuth), Autobiography

Gerald S. HAWKINS, Stonehenge decoded, Fontana-Collins, Londres, 1972

Hubert LAMPO & Pieter Paul KOSTER,"Arthur et le Graal" , René Malherbe Editeur, 1986