ed. Mango

coll. "Royaumes Perdus"

avril 2008

(collection dirigée par Xavier Mauméjean)

1- LE THEME

Jadis, le monde des Hommes était considéré comme « la terre des enfants » par les civilisations qui l’avaient précédé. Les Anciens — ceux de Mû, d’Atlantide, de Lémurie ou de Thulé — savaient que leur fin était proche. Ils rassemblèrent leurs connaissances dans une sorte d'ordinateur composé de treize crânes de cristal, espérant qu’une fois devenus « adultes » les Hommes feraient bon usage des terribles secrets qu’ils renfermaient. En attendant, « la terre des enfants » fut confiée aux dieux mayas, gardiens sublimes nés dans les laboratoires de Thulé qui, livrés à eux-mêmes, étaient devenus fous et rêvaient de devenir des hommes…

 

Nahualpilli, dit Nah, le fils du tailleur de pierre, est inquiet : le roi de Tulà-Teotihuacan, Tolpiltzin, a décidé de consacrer sa cité au dieu Quetzalcoatl, et d’interdire les sacrifices humains. Tous craignent la réaction du dieu Tezcatlipoca si le sang ne vient pas fertiliser la terre maya. Pourtant, l’adolescent espère que son maître ira jusqu’au bout, car son amie Itzil Parac semble harcelée par le dieu sombre. Alors que le Serpent à Plumes, Quetzalcoalt, répond à l'appel au secours du roi, Nah assiste à la lutte terrible qui s’engage entre les deux divinités...

Quetzalcoàlt, le Serpent à Plumes, aussi connu sous le nom de Kukulkan

le combat éternel entre Quetzalcoàtl et Tezcatlipoca

Le mythe du Serpent à Plumes et la lutte farouche qui oppose Quetzalcoatl à son frère Tezcatlipoca dès la création du monde constituent les bases de la civilisation maya. En se sacrifiant pour donner - ou redonner - la vie aux hommes, le Serpent à Plumes justifie les sacrifices humains qui sont exigés d'eux en juste retour. Verser son sang, c'est participer au cycle de la vie, c'est redonner des forces aux dieux afin qu'ils continuent de faire tourner le monde, et que l'équilibre universel soit maintenu.

Tezcatlipoca, dit "Miroir Fumant"

Mais au mythe se confond l'Histoire, car le roi Cé Acatl Tolpitzin Quetzalcoatl a réellement existé au 9è siècle de notre ère. Prêtre-roi de Tulà, Tolpitzin reste le roi toltèque le plus connu, et sa mémoire est parvenue jusqu'à nous, Européens : après avoir tenté d'abolir les rites sanguinaires de son peuple, il aurait été persécuté par le dieu Tezcatlipoca et contraint à l'exil. En quittant sa cité, il aurait juré de revenir sauver son peuple de l'emprise du dieu sombre. Assimilé au dieu Quetzalcoatl dont il portait le nom puisqu'il était le grand prêtre attaché à son culte, Tolpitzin est en quelques sortes le messie des Mayas : une prophécie s'est propagée de siècles en siècles, et il était attendu en libérateur, auréolé de lumière, marqué par la couleur blanche qui est celle de Quetzalcoatl.

C'est lui que les Mayas crurent reconnaître lorsque le Conquistador Cortès débarqua dans la baie de Veracruz (1519-1520) : son armure étincelante, sa barbe et sa chevelure les induisirent en erreur. Ils l'accueillirent avec vénération, il en profita, et les extermina...

 

2- LE LIEU

Le peuple toltèque est une partie du groupe maya formé d'éléments nomades venus du nord et implanté dès le IXe siècle de l'ère chrétienne sur le plateau central (dans la zone que recouvrent aujourd'hui les Etats mexicains de Tlaxcala, Hidalgo, Morelos et Puebla), où ils recueillirent l'héritage culturel de la cité Teotihuacán (près de l'actuelle Mexico). Les Toltèques - dont l'histoire nous est en partie révélée par la source indigène des Annales de Quauhtitlan - développèrent sur ces territoires une brillante civilisation dont le centre principal, situé à 80 km environ au nord de Mexico, fut la ville de Tulà, ou Tollan, connue pour ses bâtiments atlantéens.

Teotihuacan

Le roi Tolpitzin, héros du roman, fut l'un des prêtres-roi les plus importants de cette civilisation, jusqu'à ce qu'il en soit chassé vers 987. Cette civilisation, à laquelle succédera la culture des Chichimèques, puis celle des Aztèques (qui donnera son nom actuel à la cité déserte Teotihuacan, 'le lieu où naissent les dieux" ou bien "le lieu où les hommes deviennent des dieux"), connut son plein épanouissement entre l'an 1000 et l'année 1168, date de la chute de Tula, vraisemblablement détruite par les envahisseurs chichimèques. Le mot "chichimèque" désigne, chez les Aztèques, un peuple barbare, « issu du chien ». Tout comme les Toltèques, les Chichimèques appartenaient à la grande famille linguistique des peuples parlant le nahuatl. A l'époque, la région vivait de grands troubles depuis plus d'un siècle, violences et perturbations climatiques, famines et épidémies, qui contribuèrent à la popularité de la prophécie concernant le retour du sauveur Quetzalcoatl (Tolpitzin)... Historiquement, après avoir quitté Tulà, le groupe toltèque conduit par Tolpitzin essaima jusqu'au Yucatàn où ils s'installèrent à Chichen Itzà. On trouve là-bas tout une partie de la cité rebâtie sur le modèle quasi exact de Tulà.

colonnes de Tulà représentant des guerriers toltèques, et baptisées par les archéologues : les Atlantes

S'il est exclu que les Toltèques aient pu fonder Teotihuacán, la plus grande cité-Etat précolombienne d'Amérique centrale, ils assurèrent le développement de leur civilisation sur les bases culturelles et artistiques que leur offrait la grande métropole dont les traditions, au moment de la migration toltèque, survivaient au roi Azcapotzalco. Les mythes et légendes ayant trait à la culture toltèque laissent entendre que le système théocratique pacifique de Teotihuacán a été, dans un premier temps, accepté et respecté par les immigrants qui s'inspirèrent de ce système pour créer, entre autres, le grand mythe du Serpent à plumes, le dieu Quetzalcóatl, symbole de l'union de la terre et du ciel, qui devint la plus importante des divinités de la région toltèque. Dans notre histoire, le roi Tolpitzin a abandonné son ancienne capitale, Tulà/Tollan, considérée comme maudite, souillée par l'assassinat de son père par son propre frère à l'instigation du dieu Tezcatlipoca, parricide que Tolpitzin dut venger par un bain de sang. Abandonnant la cité, il s'installe non loin de là dans les ruines fabuleuses de Teotihuacan qu'il décide de rebâtir à la gloire du Serpent à Plumes. Il donne donc le nom de Tulà à sa nouvelle capitale (qui ne porte pas encore le nom de Teotihuacan, comme nous l'avons vu plus haut). Dans la véritable histoire, le roi toltèque Mixoatl, père de Tolpitzin, a effectivement été assassiné ainsi que son épouse.

plan des ruines de Teotihuacan, de nos jours

le Temple de Quetzalcoàtl, Teotihuacan, lieu principal de l'intrigue... Quelle claque de le découvrir en vrai lors de mon séjour au Mexique en fev.2007 !

 

Ce Acatl Topiltzin ne fut pas seulement, au X e siècle, le fondateur de Tula, dont les ruines ont révélé les plus importants vestiges artistiques toltèques, lesquels comprennent bon nombre de monuments (dont la fameuse pyramide de Quetzalcóatl) qui font allusion au culte du Serpent à plumes alors que l'on ne relève pratiquement aucune trace d'adoration de Tezcatlipoca; il a été très vraisemblablement à l'origine de l'expédition toltèque en pays maya, dans le Yucatán. Là, les envahisseurs établirent leur capitale dans une cité de moyenne importance qu'ils appelèrent Chichén Itzá et transformèrent en une très grande ville, qui devint bientôt le principal centre religieux de la région. Avec sa colossale pyramide de 24 m de hauteur (le « Castillo »), son jeu de pelote le plus vaste de tout le Yucatán (30 m de largeur sur 90 m de long), ses admirables temples dits des « Guerriers » et des « Jaguars », Chichén Itzá, sur un fond architectural et décoratif maya d'une grande beauté, n'en est pas moins une réplique yucatèque de Tula, ville qui servit également de modèle à toute l'architecture aztèque.

Chichen Itza

Les «atlantes», sorte de cariatides géantes, vêtues en guerriers et qui supportaient la toiture des temples, sont un élément original de l'architecture toltèque. De même, les « Chac-Mool » («tigre rouge»), figures anthropomorphes mi-assises, mi-allongées, les genoux relevés, la tête tournée sur le côté, susceptibles de porter à plat sur le ventre un récipient à offrandes, représentent ce que la sculpture toltèque de Tula a produit de plus caractéristique et qu'elle a d'ailleurs essaimé dans le Yucatán. La décoration des bas-reliefs repose essentiellement sur la figuration animale d'aigles, de tigres et de coyotes.

 

3- QUETZALCOATL

Quetzalcoàtl est le nom Aztèque du Serpent à Plumes. J'ai choisi de prendre celui-ci car c'est la plus connue des appelations de ce dieu. Chez les Mayas on le nommait plutôt Kukulkan.

Comme nous l'avons vu plus haut, le culte du Serpent à plumes, adopté plus tard par les Aztèques, fut singulièrement renforcé au moment où, vers 968 ou 980, Ce Acatl Topiltzin (Ce Acatl : « Roseau un », nom du jour du calendrier mexicain marquant la date de sa naissance), après s'être débarrassé de l'usurpateur qui avait assassiné son père Mixcóatl, fondateur de la première dynastie toltèque, se fit reconnaître comme roi-prêtre et incarnation du dieu Quetzalcóatl. C'est une vingtaine d'années plus tard, peu avant l'an 1000, que Topiltzin Quetzalcóatl et ses partisans auraient été chassés par une autre faction de Toltèques, adorateurs d'un dieu beaucoup moins pacifique, Tezcatlipoca, dieu du ciel nocturne. On dit qu'avant de disparaître en direction de la mer, Topiltzin prophétisa son retour sous l'aspect d'un homme blanc et barbu, venant de l'Est.
Cette prophétie, répandue à travers tout l'ancien Mexique, semble avoir eu pour conséquence d'induire en erreur le roi aztèque Montezuma qui put croire au retour de Topiltzin lorsque le conquistador Cortés débarqua en Amérique centrale en 1519, à une époque que le calendrier mexicain, par une étrange coïncidence, signalait comme l'an 1 Ce Acatl. Quoi qu'il en soit, l'exil du Serpent à Plumes et l'avènement de Tezcatlipoca entraînèrent chez les peuples précolombiens la disparition définitive de la théocratie pacifique des grandes cités classiques du type de Teotihuacán.
La caste militaire s'impose au détriment de la caste des prêtres. Les Toltèques instaurent désormais un ordre aristocratique qui, en consacrant la valeur sacrificielle pure, inaugure l'ère des sacrifices humains susceptibles de restituer au monde sacré ce que l'usage quotidien est censé dégrader.

Alice l’Anson, extrait du poème « Teotihuacàn », paru dans la revue Weird Tales (Nov. 1930, Vol. 16, no. 5),

évoqué avec enthousiasme par Robert E. Howard dans le courrier des lecteurs du numéro de janvier 1931.